Histoire et Mécaniques du jeu : Tous Phyrexians

Histoire

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Un petit crabe marcha sur la main de Téfeiri.

Les vagues… Qu’avait-il ?

« Je crois que l’heure est venue, dit Urza en montrant le vide au-dessus de la tête de Téfeiri. Je vois quelque chose là-bas. »

Le destructeur de Dominaria discutant avec le destructeur de Zhalfir ; toujours dans l’ombre du vieux. Je me demande ce qu’il a vu là-bas.

Lève-toi. Pars de cette plage. Oublie tout ça. Cligne des yeux, et ce sera de l’histoire ancienne. C’est probablement la deuxième fois que tu meurs, mais maintenant que tu es revenu, que comptes-tu faire ?

Une guerre se prépare. Que comptes-tu faire à ce sujet ?

Illustration par : Chase Stone

Nu et seul, Téfeiri marchait vers l’intérieur des terres depuis la plage.

Il faisait doux. Les rayons du soleil perçaient les nuages ou le brouillard qui surplombaient l’horizon, vaporeux, dorés et diffus. C’était le souvenir d’un soleil et de la façon dont Téfeiri voyait la lumière dans ses rêves.

Téfeiri s’arrêta là où le sable cédait sa place à d’épaisses herbes littorales et à la lisière d’une forêt des dunes. De la côte soufflait un vent régulier. Des petits grains de sable effleuraient ses chevilles. Ici se dressait une arche en pierre rouge qui provenait d’un autre endroit. Elle était rongée par le frottement quotidien des grains de sable, depuis des temps immémoriaux. Des creux réguliers sur la surface de l’arche formaient jadis des écritures, des mots d’une langue, quelque chose qui indiquait l’endroit où il se trouvait. Toutefois, la pierre était trop érodée pour qu’on puisse les déchiffrer. Au-delà s’étirait un sentier qui avait connu de nombreux passages, marqué par des grandes colonnes. Certaines s’étaient effondrées : il n’en restait plus que la base.

Téfeiri s’adossa à l’arche en pierre pour reprendre son souffle. Il sentit une vive douleur à un endroit où il n’avait pas eu mal jusque là. Même respirer le faisait souffrir. Ses poumons lui paraissaient serrés, compressés, comme s’il venait de courir un marathon. Son corps entier lui faisait mal. Il avait l’impression qu’on le tordait, de l’abdomen aux extrémités, comme un chiffon humide que l’on essorerait.

Que savait-il ? L’esprit de Téfeiri fut assailli d’un millier de pensées lorsqu’il se mit à réfléchir.

Tu n’es plus lié à Kaya. Tu es entier, tu n’es plus un esprit. Cela veut dire qu’il leur est arrivé quelque chose de leur côté qui a fait que tu te retrouves dans cet état du tien. Ce n’était ni prévu, ni justifié : en d’autres termes, ça ne lui disait rien qui vaille. Essaie de retourner là-bas.

Téfeiri se concentra et plongea dans son propre esprit pour essayer de se transplaner, comme il l’avait fait tant de fois par le passé… Mais il ne trouva rien. Il ne sentit qu’un soubresaut amorphe, le spasme d’un muscle engourdi. Il s’accroupit, se tourna puis s’assit. Une vague de panique, la nausée. Il reposa sa tête contre l’arche et fixa la mer en plissant les yeux, à moitié aveuglé par la lumière du jour et l’eau scintillante.

Une brume habillait toujours l’horizon. La mer était calme. Les vagues remontaient doucement sur la rive au lieu de s’écraser dessus. Les oiseaux de rivage et les crabes, le chasseur et la proie, fuyaient et dansaient. Tout est si loin, pensa Téfeiri. C’est d’une beauté à nulle autre pareille.

Il regarda la lumière se refléter sur l’océan. Il tendit une main vers un soleil imaginé, et voulut qu’il se couche sous l’horizon caché, pour que la nuit tombe comme par enchantement. Le temps ne répondit pas à son souhait. Il remit sa main sur sa cuisse.

« C’est fini, dit Téfeiri à voix haute, en s’adressant au vent, aux oiseaux et aux crabes. Ils ont gagné. »


La nuit tomba. Téfeiri s’endormit. Le chant des cigales rappelait des scies circulaires cauchemardesques. Il rêva de choses dont il ne se souviendrait pas, mais qui ne le quitteraient pas pour autant à son réveil :

Kroog. Un champ de boue balafré de tranchées, un visage grêlé par la vérole tout droit venu de l’histoire la plus sombre de Dominaria, la bouche d’un cratère trempé à cause des cadavres réanimés, frais comme pourrissants, des câbles qui s’immisçaient sous sa peau. Argoth, en feu, taché par le pétrole, les elfes et les humains écrasés sous les pattes de bêtes en métal dont les scies circulaires lui faisaient serrer les dents ; en réalité, ce n’étaient que les cigales hors de son rêve.

Voici les choses dont il se souviendrait à son réveil :

La pression glacée lorsque le Phyrexian l’avait poignardé. Les couloirs sombres de la tour d’Urza en état de siège, qui lui rappelaient les couloirs de Tolaria de jadis, qu’éclairaient des torches et dans lesquels retentissaient des cris de souffrance.

Et ce qui le faisait le plus souffrir :

Soubira n’erre plus sans fin, car il le fait à sa place. J’espère recroiser ton chemin, Soubi.


Un brouillard froid tomba sur la mer, donnant la chair de poule à Téfeiri. En se réveillant, il vit la mer à marée haute. Les vagues s’écrasaient désormais là où, plus tôt, elles remontaient doucement le rivage. Sous le clair de lune, l’eau se teintait d’un bleu argenté profond.

Téfeiri se releva. Il n’y avait pas de lune. Pourtant, une lumière bleu pâle illuminait le paysage avec contraste. C’était curieux, mais il ne pouvait pas s’attarder ici. Il devait aller à l’intérieur des terres, là où il faisait plus chaud. Il devait suivre les sentiers. Là où il y a d’autres personnes, il y a de l’espoir, car ces personnes doivent manger, dormir et rire. Elles doivent probablement avoir des vêtements à me prêter, pensa-t-il en resserrant ses bras autour de lui pour se protéger du froid. Il frotta ses bras pour se réchauffer et emprunta le chemin qui menait à l’intérieur des terres. La forêt des dunes le protégeait en partie des vents glacés. Plus il marchait, plus la nuit se réchauffait et moins le vent l’assaillait. Une odeur complexe de bois pourri, de marées, de vie et de mort embaumait l’air.

Téfeiri sortit de la forêt des dunes et se retrouva dans une brousse dominée par une vaste canopée basse. Des insectes et le vent animaient la nuit dans un léger ronronnement à peine audible. Grâce au clair de lune brumeux qui n’en était pas vraiment un, il pouvait voir le paysage s’étirer au loin. Des traits sombres dessinaient une bordure bosselée sur l’horizon : c’étaient des montagnes, basses et anciennes, qui se trouvaient à des kilomètres de là.

Le chemin continuait, mieux visible. Le sable pâle brillait comme un signal lumineux sous le clair de lune, formant un ruban qui s’étirait sur une dizaine de mètres jusqu’à une prairie. Cette dernière laissait place à un chemin terreux marqué par des ornières de charrettes, semblables à des veines sèches érodées par la pluie.

Téfeiri s’accroupit et tendit sa main vers le sable. D’un geste lent qui dessinait une boucle, il passa sa main au-dessus d’une vieille empreinte. Il se concentra et remonta le temps pour se plonger dans cette histoire passée.

Des gens étaient déjà venus ici. La plage qui se trouvait au-delà de la forêt de dunes était autrefois un bout de paradis où les familles passaient de longs après-midis à nager dans la mer calme et à se détendre. Les enfants criaient de joie sur ce chemin et sautaient en passant sous l’arche rouge, dans l’espoir d’être un jour assez grands pour taper la clef de voûte à son point culminant. Les parents les suivaient en tirant des charrettes ou en tenant des sacs souples tricotés qui contenaient le nécessaire pour la journée : des provisions froides et séchées, de l’eau, des couvertures, des récits écrits, des paniers où cas où ils trouveraient des moules ou attraperaient des petits poissons, ou encore des pièces pour marchander avec les vendeurs qui arpentaient le rivage.

Téfeiri ferma les yeux. Avec son autre main, il dessina une plus grande boucle. Il devait prendre du recul ; il revint sur ses pas, au bord de l’eau, non loin des brisants. Des visions lui vinrent, pareilles à des souvenirs, à des rêves.

De longs bateaux de pêche à coque large et aux couleurs vives bordaient autrefois la plage. Dans l’après-midi, la plupart des marins revenaient avec leurs prises du jour et se rendaient sur les marchés situés à l’intérieur des terres. Certains s’allongeaient sur la plage avec leurs partenaires et leurs amis, d’autres restaient en arrière pour rafraîchir la peinture de la coque de leur bateau, ou retirer les bernacles qui s’y étaient fixées. D’immenses filets étaient mis à sécher sur des tours et flottaient au vent. Certains des travailleurs et des marins dormaient après leur dure journée de labeur, à l’ombre de leurs bateaux retournés. De l’eau gouttait de leurs filets qui séchaient, et ces derniers embaumaient l’air d’une douce odeur iodée.

Une autre rotation. Il faut visiter un passé plus proche.

De moins en moins de familles venaient ici. Les personnes qui osaient venir ici marchaient ensemble, proches des unes et des autres. Certains des parents tenaient de vieilles armes, comme des dagues ou des bâtons en bois dur se terminant sur une extrémité en fer. Il n’y avait plus de bernacles sur les bateaux, et la peinture des coques était blanchie par le soleil. Cela faisait bien longtemps qu’aucun marin n’avait pris la mer ; les coques les plus vieilles commençaient à se fissurer. Les filets, qui avaient été mis à sécher, étaient devenus blancs et fragiles, et avaient perdu leur souplesse. Les marins n’utilisaient plus leurs filets, car ils n’en avaient plus besoin. Les marins avaient peur de la même chose que les parents. C’était d’ailleurs la peur de Téfeiri, la même peur qui ne quittait jamais son esprit, cette voix intérieure qui lui murmurait d’avoir peur de la mer. D’avoir peur de la nuit. D’avoir peur des choses invisibles.

Une autre rotation. Encore plus proche.

La peur. Le bourdonnement des insectes dans le présent se mélangeait au fracas des vagues dans le passé et aux terrifiants cris aigus sur le vent marin. Un cataclysme. Un mouvement de foule fit trembler le sol. Le sol se leva, vacilla, bougea.

Une autre.

Vide. La pluie tombait sur les vagues qui s’écrasaient contre les flancs des dunes.

Une autre.

La plage était à nouveau là. L’eau était calme. Très calme. Une brise légère souffla sur l’herbe de la dune, avant de retomber.

Une autre.

Tout au bout du chemin, où Téfeiri avait essayé en vain de retrouver sa mémoire avant que les ténèbres n’engloutissent tout, une langue de brume avança. Elle tourbillonna, puis s’estompa sous l’effet d’un vent imperceptible.

Jadis, ce chemin avait un battement de cœur qui lui était propre : le bruit des pas des gens qui se dirigeaient vers la mer, mêlé au bruit des pas de ceux qui rentraient chez eux. Wrenn aurait appelé ça une chanson, pensa Téfeiri. Il se leva et mit fin à son sort. La puanteur de la chronomancie se dissipa. Téfeiri regarda derrière lui. Le chemin aussi était un corps. Un corps sans vie qu’il connaissait, qui s’étirait vers l’horizon au loin. Au-delà, il n’y avait rien. Il n’y avait qu’un vide empyréen, coupé du temps et de tout le reste.

Zhalfir. Après plus de quatre cent ans, il était revenu sur Zhalfir.


Zhalfir

Après plusieurs kilomètres à l’intérieur des terres, le chemin que Téfeiri suivait rejoignit une grande route pavée. Elle s’étendait d’un horizon à l’autre et était parallèle à la côte. Sans la brise maritime, la nuit conservait la chaleur de la journée. Des hautes herbes bordaient la route. À cause des chants des insectes, on ne s’entendait plus penser.

Sans vraiment savoir où aller, Téfeiri tourna à gauche et commença à marcher.

Plusieurs heures plus tard, au point du jour, un fracas de charrettes et de sabots le réveilla. Téfeiri s’était un peu écarté du chemin pour dormir ; ce n’était plus possible à présent. Malgré la douleur, il approcha en se cachant dans le maquis. Il vit devant lui une caravane rouler au pas.

C’était une longue file de dix chariots ; chacun était tiré par un groupe de bêtes dociles, des bœufs ou des buffles. Les caravaniers se tenaient dans les chariots sur des bancs ombragés. Ils portaient plusieurs couches de vêtements fins et des capes aux tons terreux, rouges et verts. Ils étaient calmes, mais fatigués. Nombreux tenaient des tasses fumantes de café ou d’une autre boisson chaude. Téfeiri supposa qu’ils faisaient partie de l’équipe du matin, levés dans l’heure pour prendre la relève de leurs compatriotes qui dormaient dans les grandes charrettes couvertes de toiles au milieu des boîtes et des sacs de marchandises qu’ils transportaient. Il regarda longuement les premières charrettes rouler à l’avant et observa les gardes en armure à l’arrière. Certains dormaient assis, attachés aux poutres qui supportaient leur chariot pour ne pas tomber. Ces gardes n’étaient pas les akindjis dont se rappelait Téfeiri : leur armure n’était pas uniforme, leurs armes étaient simplement en fer et leurs capes n’étaient pas teintes. C’étaient sans doute des mercenaires nomades engagés à bas prix par les caravaniers.

L’estomac de Téfeiri gargouilla. Il se rendit compte qu’il tremblait. Il était affamé, fatigué, assoiffé, perdu. Et surtout, il était seul. Il avait besoin d’aide, il avait besoin de prendre ce risque.

Téfeiri attendit qu’un autre chariot passe avant d’avancer sur la route.

« Bonjour », dit Téfeiri à la caravanière qui approchait. Il leva une main pour lui faire signe.

La caravanière cria et réveilla brusquement son copilote. Il sursauta en agitant ses bras dans tous les sens et envoya valser le café de sa compagne de voyage. Les bœufs qui tiraient la charrette demeurèrent impassibles, visiblement ravis de faire une pause. Le bœuf de tête renâcla et tourna la tête vers Téfeiri en clignant des yeux.

Ce remue-ménage arrêta la caravane. Des cris, des « halte ! » et des « à l’attaque ! » retentirent tout le long de la file de chariots. Dans une grande cacophonie, les gardes quittèrent leurs postes en s’emmêlant dans les cordes qui les empêchaient de tomber pendant leur sommeil. La plupart d’entre eux furent assez rapides pour encercler Téfeiri et le tenir à bout portant de leur lance dans la minute.

« Qui êtes-vous, homme nu ? », cria l’une des gardes. C’était une femme à la voix rauque qui avait à peu près l’âge de Téfeiri. Elle portait une armure usée, mais dont elle avait pris soin. Le col de fourrure sur son manteau bleu royal rapiécé indiquait qu’elle avait autrefois fait partie de l’armée. Elle était donc probablement la cheffe de ce groupe. Tout comme le reste des gardes, elle tenait sa lance en direction de la poitrine de Téfeiri.

« Un voyageur. J’ai été attaqué par des bandits, mentit Téfeiri. Il y a deux jours, près de la côte. Ils ont pris mes vêtements, ma nourriture et m’ont laissé pour mort. S’il vous plaît… Auriez-vous quelque chose, n’importe quoi à me prêter ? »

La cheffe baissa sa garde. « Des bandits, dit-elle en faisant signe à ses compères de baisser leurs armes. Qu’on lui donne une cape. Près de la côte ? Soyez tranquille, voyageur. Ils ne vous feront plus aucun mal. Nous nous sommes occupés de cette bande de traîtres pas plus tard qu’hier soir. »

« Ah bon ? », demanda Téfeiri. Il dissimula avec brio sa surprise. L’un des gardes lui donna une cape. Téfeiri l’enfila, en observant longuement les gardes. Un grand nombre d’entre eux avaient des bandages sur leurs membres, leurs flancs et leurs têtes. Le combat avait dû être rude.

« Ils sont de plus en plus coriaces, grimaça la garde en chef. Les gens ne peuvent pas vivre en permanence sous la menace : ils finissent par céder à la colère. À la faim. Ils n’ont pas envie de faire des sacrifices. »

« Les temps sont durs. », approuva Téfeiri. Pas envie de faire des sacrifices ? Il se demanda depuis combien de temps ils subissaient cela. Quelques instants, ou des années ?

La cheffe baissa les yeux en pesant avec sérieux ses prochains mots. « Vous êtes la seule personne encore en vie de votre groupe », dit-elle. Elle avait parlé d’un ton direct, factuel. « Leurs corps sont dans la dernière charrette. Nous comptions les ramener à Kiingal. Vous pouvez venir avec nous pour parler en leur nom. » La cheffe des gardes acquiesça. La décision prise, elle émit un bref sifflement pour signifier qu’il fallait retourner au travail. Lorsque la caravane se remit en route, elle commença à marcher et fit signe à Téfeiri de la suivre.

Téfeiri se mit en rang et se couvrit avec sa cape. L’aube s’était enfin levée et le soleil réchauffait l’air.

« Votre visage me dit quelque chose, dit la cheffe des gardes. Je m’appelle Eshe. D’où venez-vous ? Comment vous appelez-vous ? »

« Sefu, mentit une nouvelle fois Téfeiri. Je viens de Kipamu. J’ai un visage assez commun. » Il sourit. « Ça fait de moi un bon marchand : tout le monde fait confiance à un ami. »

« En effet. »

Eshe et Téfeiri marchaient en silence et gardaient un rythme régulier à côté des grandes charrettes qui roulaient.

« Vous n’avez posé aucune question sur les morts. »

« Les morts ? »

« Vos camarades, dit Eshe. Combien étiez-vous, déjà ? »

Mince. Téfeiri ne pouvait pas se retourner pour vérifier, la charrette était bien trop loin. Au lieu de cela, il canalisa rapidement un sort subtil pour extirper la réponse de la mémoire d’Eshe. Il n’était pas très doué pour appliquer le regard. Parmi la vieille garde des Sentinelles, la lecture mentale était plutôt la spécialité de Jace. Cela mettait Téfeiri mal à l’aise de plonger dans un endroit aussi intime d’une personne et d’ouvrir le royaume de son for intérieur comme on ouvre une encyclopédie, et surtout de risquer d’ouvrir la mauvaise porte et de semer le désordre dans le casse-tête qu’était l’esprit humain. De plus, il trouvait que c’était mal d’envahir l’esprit de quelqu’un. Mais il n’avait pas le choix : il était désespéré et le temps pressait.

Un léger bourdonnement dans son oreille. L’odeur âcre de l’herbe brûlée. Un seul cri, écourté par une lance avec une pointe en forme de feuille.

« Dix », dit Téfeiri alors que le souvenir s’évanouissait.

« Dix morts ? répéta Eshe en secouant la tête. C’est une véritable tragédie. Mais ne vous en faites pas, dit-elle. Nous prendrons bien soin de vous. »


Le lendemain matin, la caravane s’arrêta. Il ne restait plus qu’un jour de voyage avant d’arriver à Kiingal.

« En rang, mettez-vous en rang », crièrent les gardes en invitant les caravaniers à se mettre en rang sur le bord de la route. « Dépêchez-vous, il y a peut-être des bandits », crièrent-il en pressant les marchands aux yeux fatigués.

Téfeiri se mit en rang avec les caravaniers, tenant tant bien que mal debout et essayant de rester aux aguets comme les gardes le demandaient. Il avait eu le sommeil agité, même lorsque ses cauchemars avaient pris fin. Il bâilla, imitant la caravanière à côté de lui qui frissonnait tant elle bâillait fort.

« C’est comme ça tous les matins ? », demanda Téfeiri à la caravanière.

« Non », dit-elle. Elle tremblait. Ce n’était pas à cause du froid, car il faisait bon, mais parce qu’elle avait peur. « Ne faites pas confiance à ces bandits, murmura-t-elle rapidement. Ils ont tué nos gardes et ont pris leur place, ils comptent vendre notre marchandise pour… »

« La ferme », siffla Eshe. Surprise, la caravanière sursauta. Eshe les regarda l’un après l’autre.

Téfeiri croisa le regard d’Eshe, puis, il comprit. Son regard était rempli de haine parce qu’elle l’avait reconnu. Elle savait qui il était.

« Remets-toi en rang, Sefu, dit Eshe à Téfeiri. Plus un geste. »

Téfeiri acquiesça et ne bougea plus. Il pouvait encore changer ce qui allait se passer. Il y avait forcément une solution autre que la violence. Il resta silencieux et attendit.

Les gardes se mirent en face des caravaniers. Certes, ils étaient en infériorité numérique, mais ils étaient armés et portaient des armures. Ils attendaient qu’Eshe finisse de passer longuement en revue leurs prisonniers. Elle marchait avec une précision sans pareille.

« Écoutez-moi bien », dit Eshe en atteignant la fin de la file. Sa voix portait, sur ce tronçon de route vide, et dominait avec clarté le bourdonnement aigu matinal des insectes. « Vous avez fait preuve de patience. Vous avez été gentils même si nous vous avons mal traités. Maintenant, j’ai besoin que vous me rendiez un dernier service : il y a un traître parmi vous. »

Les caravaniers échangèrent des regards inquiets.

« Zhalfir est en guerre », continua Eshe. Elle se tourna et, doucement, remonta la file des caravaniers réunis. « Voilà des générations que nous sommes en guerre. D’abord, il y a eu la guerre du Mirage, puis la guerre kelde, et maintenant, il y a cette attente interminable. Cette préparation à la guerre phyrexiane et à la défense de Dominaria contre les hordes de Yaugzebul. Nos champs, nos villes, nos terres, notre peuple… Tous sous la coupe de la guerre, depuis des générations. » Eshe s’arrêta près d’une caravanière. Sans la regarder, elle la pointa du doigt. « Toi, dit-elle. Combien de membres de ta famille as-tu perdu ? »

« Trois pendant la guerre du Mirage », balbutia la caravanière, d’une voix rauque. « Ma mère, ma grand-mère et mon grand-père. »

« Et toi ? » Eshe pointa du doigt une autre caravanière.

« Deux, lors de l’attaque kelde, répondit-elle. Mon mari et mon frère. »

« Toi ? »

« Mon frère, ma sœur et mes deux filles contre les armées de Kærvek pendant la guerre du Mirage. Et j’ai été blessé à Tefemburu. »

Illustration par : Daarken

Eshe hocha la tête. Elle tendit la main vers ce dernier caravanier, un instant bouleversée. Elle posa son front contre le sien et lui murmura doucement quelque en secret. Puis, elle embrassa son front et se recula. Elle regarda les autres bandits, les pointa du doigt un à un avant de pointer les caravaniers du doigt à leur tour.

« Nous sommes tous liés par le deuil, dit Eshe. Nous sommes frères et sœurs dans le deuil, la faim et la peur. »

Téfeiri baissa les yeux vers la terre rouge sous ses pieds nus. Il ne pleurait pas. Ce n’était pas à lui de pleurer.

« Zhalfir seule, et nous seuls avons réussi à arrêter toutes les lames prêtes à nous tuer. » Prise par l’émotion, la voix d’Eshe tremblait. « Peu importe le nombre de morts, peu importe la force de nos ennemis. »

Un silence régna. Eshe tapait la route en terre battue avec l’extrémité de sa lance dans un rythme lent, dans le but de calmer les cœurs agités. Elle fit quelques pas pour approcher de Téfeiri.

« Tu es le seul », dit Eshe. Plus aucun autre bruit ne parasitait cette matinée chaude. « Il y en a un ici qui n’a pas connu cette peine. Il s’est enfui. Mais il est revenu », dit-elle. Eshe leva un bras pour désigner Téfeiri. « Voilà Téfeiri, le traître. »

Les caravaniers et les gardes s’agitèrent, crièrent et poussèrent des cris de surprise devant cette révélation. De façon précipitée, les caravaniers s’éloignèrent de Téfeiri tandis que les gardes avancèrent vers lui en dégainant leurs armes. Certains caravaniers approchèrent également de lui en serrant les poings. Téfeiri ne se débattit pas lorsqu’ils l’attrapèrent. Il leva simplement les mains.

« Eshe, s’il te plaît. »

« Non », dit Eshe. Elle leva sa lance, rassembla ses forces et visa son cœur.

« Arrête », dit Téfeiri, et le temps obéit.

Il soupira. Il se défit doucement de l’emprise des caravaniers arrêtés par le temps. Exténué, il s’accroupit. Puis, il s’assit.

« Je n’ai pas bien dormi la nuit dernière, marmonna Téfeiri. Eshe, est-ce que tu m’entends ? », demanda-t-il. Il leva les yeux vers Eshe qui n’était pas tout à fait figée ; elle bougeait avec une lenteur presque imperceptible, piégée dans son mouvement. Elle ne fit pas attention à lui. Un gémissement grave sortait de sa gorge : elle criait au ralenti.

« Bon. » Téfeiri dessina un arc nonchalant avec son doigt. Le coup de lance d’Eshe s’accéléra, et elle finit son cri presque normalement. La confusion gagna son visage, alors que ses yeux finirent par lui dire que Téfeiri avait disparu.

« En bas », dit-il.

Eshe l’entendit après quelques minutes. Sa confusion se transforma en colère, mais elle le regardait enfin. Téfeiri la regarda se débattre contre le temps au ralenti, s’efforçant d’abattre la lame la lame de sa lance dans un mouvement peu esthétique, mais efficace.

« Jadis, j’étais amoureux d’une caravanière, dit Téfeiri. Elle s’appelait Soubira. Comme toi, elle pensait que j’étais un meurtrier quand je l’ai rencontrée. Elle pensait que j’étais un idiot. Elle pensait plein de choses sur moi. Mais elle a été bienveillante envers moi. Elle m’a écouté », dit Téfeiri. Il leva les yeux. Pas vers Eshe, mais vers le ciel, en essayant de retenir ses larmes. « Elle m’a écouté quand je ne méritais pas qu’on m’écoute. On s’aimait, et ensemble, nous formions une famille. » Il essuya ses larmes. « Elle n’a perdu personne quand j’ai envoyé Zhalfir loin de Dominaria. Elle avait grandi sur la route, tout comme sa famille depuis des générations. Zhalfir n’était qu’une histoire à ses yeux. » Il grimaça. Ses prochains mots allaient lui faire mal au cœur, mais il avait besoin de s’entendre les dire.

« Je crois… », commença Téfeiri. Ces mots froids restèrent coincés en travers de sa gorge. « Je crois que j’ai laissé son amour me faire oublier la souffrance que je vous ai fait endurer. La souffrance que j’ai fait endurer à Zhalfir, notre foyer. Soubira a eu la grâce de m’accepter. Mais le fait qu’elle m’accepte, qu’elle m’aime… » Téfeiri secoua la tête. « Un tel amour sauve une âme, mais ne peut réparer mes actes. » Téfeiri mit ses mains dans la terre rouge, en tira deux poignées et la laissa s’écouler entre ses doigts. La couleur teinta ses paumes et la terre s’immisça sous ses ongles. Elle ne partirait jamais. « Elle est morte avant que je ne trouve un moyen de tout arranger. »

Eshe finit enfin de tourner sa lance, pointe vers lui. Elle se tenait à moins d’un mètre et Téfeiri pouvait l’arrêter d’un coup de main. Il n’était pas en danger. Pourtant, Eshe n’abandonna pas. Il essuya ses paumes sur la cape qu’on lui avait donnée, puis tendit sa main pour attraper la pointe de la lance.

« Je ne peux pas être pardonné, dit Téfeiri. Je peux seulement faire ce qui est juste. » Sa main empoigna la pointe qui lui coupa alors la paume. Son sang, rouge vif, coula le long de son bras avant de tomber goutte à goutte au niveau de son coude pour se mélanger à la terre. Zhalfir en lui, et lui en Zhalfir, et le prix à payer. « Je l’aimais comme j’aimais cette terre, dit-il. Et je veillerai à protéger Zhalfir des dangers à venir. Je le promets. C’est ma façon d’arranger les choses. »

Eshe pouvait-elle entendre la souffrance dans sa voix ? Coincée dans l’instant où elle essayait de tuer le destructeur de Zhalfir, un homme désespéré venant du futur qui lui disait que sa guerre ne prendrait pas fin ici. L’écho de sa propre expérience récente avec Urza ne lui avait pas échappé. Il se demanda si ces silhouettes sombres à l’extérieur du petit lac dans lequel ils avaient nagé étaient en train de les regarder à présent. Si leurs esprits vastes et insondables pensaient à ce moment. S’ils allaient pénétrer ici aussi et l’envoyer autre part.

Plus tard, pensa Téfeiri. Phyrexia, encore, d’abord.

« Eshe, je vais mettre fin à ce sort, dit Téfeiri. Mais tu dois me promettre de me laisser partir. » Il ne pouvait plus éviter que tout Zhalfir le reconnaisse. Tout ce que Téfeiri pouvait faire, c’était de gagner du temps avant que les autorités ne le traquent. Ce groupe était peut-être composé de bandits et de leurs prisonniers, mais apporter des nouvelles de son arrivée leur permettrait probablement de faire oublier tous leurs crimes, ou causerait assez de confusion pour qu’ils puissent profiter de l’agitation pour s’échapper.

Le gémissement d’Eshe ne cessa pas. Téfeiri relâcha la lance et se releva en regardant sa paume entaillée. Il fit quelques pas pour retourner là où il se trouvait quelques minutes auparavant, loin des caravaniers qui le tenaient et hors de portée de la lance d’Eshe. Il leva les bras pour concentrer une impressionnante lumière bleue , une canalisation brute de mana qui lui irrita le nez et fit se dresser les poils de sa nuque. C’était un croc prêt à mordre, le noyau crépitant d’un feu, quelque chose de profond et primitif qui n’était pas lié à un art, mais qui constituait un pouvoir brut et brûlant. Une démonstration de sa puissance, au cas où.

Téfeiri laissa le temps reprendre son cours normal.

Eshe acheva son cri de rage sur une note angoissée. Elle trébucha en reculant, éloignant la pointe de sa lance de lui. Téfeiri se débarrassa du pouvoir azur de ses mains, et le renvoya dans la terre.

« Merci, Eshe. »

« Va-t-en », dit Eshe. Sa peau sombre était humide de sueur, et elle était prise de haut-le-cœur suite à sa lutte contre la magie. Elle essaya de reprendre son souffle. Ses bras tremblaient.

Téfeiri leva les mains, paumes ouvertes vers elle. Eshe ne recula pas, contrairement à de nombreux caravaniers et gardes qui se précipitèrent derrière les chariots.

« Tu n’as plus rien à nous dire, dit Eshe. Va-t-en. »

Téfeiri hocha la tête. Il se leva doucement, avant de se reculer. Eshe ne le regarda pas. Elle fixait le sol où elle était assise, le sol où il avait pris des poignées de terre.

Téfeiri partit seul en descendant la route. Après un long moment, Eshe et sa caravane reprisent la route dans la direction opposée.


Autre part

Téfeiri dormit et rêva.

Il y a une grande chaîne d’événements, forgée dans des feux désormais lointains et éteints. Tout ce qui est lié à cette chaîne l’accompagne dans un renversement temporel. Il est impossible de voir ce que cette chaîne sera, on ne voit que ce qu’elle était. Téfeiri se souvint avoir essayé d’expliquer ce phénomène à Urza lorsqu’ils étaient partis. Toutefois, il était difficile d’articuler clairement la réalité. Il aurait peut-être pu mieux résumer ce phénomène avant de renoncer à son étincelle de Planeswalker pour la première fois.

La plupart des êtres parmi cette myriade de créatures conscientes à travers le temps et le Multivers n’ont pas le luxe de recevoir cette révélation ou d’en être témoins, et n’ont même pas la chance de modifier le cours de l’histoire comme ils l’entendent. Téfeiri avait renoncé à son étincelle avant de la récupérer ; le pouvoir dont il était doté était quasiment d’ordre divin. Le temps lui appartenait, et à lui seul.

Quoi qu’il en soit, cette chaîne a été fabriquée de toutes pièces par d’innombrables mains, et rares sont ceux qui se trouvent au bon moment de l’histoire pour y laisser leur marque. Plus on remonte cette chaîne, plus ces marques s’effacent. L’inverse est également vrai : plus on est proche des événements récents de cette chaîne, plus ces marques sont nettes. Ce sont les signatures de ceux qui ont forgé un lien, formé une connexion ou forcé une dérivation. Elles brillent et se refroidissent, comme si elles étaient serties dans le fer.

En plein rêve, Téfeiri baissa les yeux sur la chaîne cliquetant à travers tout son être. Il ne souffrait pas. C’était simplement une ligne infinie qui s’étirait, encore et encore, dans les profondeurs obscures du passé. Chaque lien portait son nom.


Zhalfir, des mois plus tard

L’eau de la rivière était fraîche et claire. Elle tenait cette fraîcheur agréable des petites montagnes de Teremko. Même s’il faisait de plus en plus sombre, la chaleur du jour ne faiblissait pas sur le vaste plan.

Torse nu et les pieds dans la rivière, Téfeiri se tenait au milieu d’une longue ligne d’autres travailleurs qui avaient retroussé leur pantalon au-dessus de leurs genoux. Ensemble, ils jetaient un filet en mailles fines sur toute la largeur d’un long coude peu profond de la rivière. Derrière le dernier pêcheur, le lit de la rivière gagnait en profondeur, jusqu’à l’autre rive où le courant creusait continuellement le terreau sablonneux. C’était leur dernier filet de la journée.

Les minutes et les heures se confondaient. Tous les moments étaient réunis en un seul : l’eau autour de ses jambes était le grondement lointain de la puissante rivière. Le courant doux était la corde rêche dans ses mains. Transporté par le rythme de la chanson que les autres entonnaient, il se joignit à eux. L’air qu’il fredonnait était l’air des poumons de ses camarades qui tiraient également la corde rêche, dos au courant, et qui, eux aussi, entendaient le grondement lointain de la rivière et ses doux remous.

Ils partageaient leur travail, leur temps. La beauté de cette rivière, ce travail simple, ce labeur effectué par de nombreuses mains, ce chant à l’unisson, les nombreuses mains sur ce filet fabriqué par des artisans adroits de leurs mains des années auparavant, le fait de lancer le filet pour attraper les gros poissons argentés de cette rivière claire et froide. L’espoir dans les mains qui avaient tiré les fibres, les doigts habiles qui avaient cousu ce filet, les bras bronzés par le soleil qui tiraient l’espoir à travers le temps. Un filet qui regroupait des centaines de vies en une ligne temporelle ininterrompue et la main d’œuvre qui faisait naître, à la fin de tout cela, la vie.

« Modeleur », appela la travailleuse à côté de lui. Tout le long de la ligne, avec la chanson en fond, des conversations se poursuivaient. Tout comme la rivière, la chanson contenait des tourbillons et des remous. « Quand la guerre éclatera, rejoindras-tu les forces armées ou resteras-tu ici, au village ? »

« Je resterai », dit Téfeiri. Il grogna en lançant le filet avec le reste de son groupe, une main après l’autre. « Mais je sers les intérêts de la reine. Là où elle me dira d’aller, j’irai. »

« Tu vis comme ces poissons, dit la travailleuse. Moi, je rejoindrai les akindjis avec mes sœurs quand la guerre éclatera. »

Téfeiri l’observa. Elle était jeune et portait des épaulettes pour renforcer ses épaules. Ce qu’elle avait appris avec ce travail guiderait sa lance et l’aiderait à bander son arc.

« Combien de sœurs as-tu ? »

« Trois, dit la travailleuse. « Neema, Kani, and Amana. »

« Et toi, tu t’appelles comment ? »

« Oyana. Et je sais qui tu es, dit Oyana. Tu es discret, mais tu n’as nul besoin de parler pour qu’on sache qui tu es. Tu devrais parler un peu plus. »

Téfeiri esquissa un sourire. C’était gentil de sa part de lui suggérer de parler plus, mais il avait l’impression d’avoir déjà bien assez parlé. Être silencieux, c’était être prudent. Le silence était sa pénitence.

« Les autres ont dit que tu étais venu dans notre village pour te cacher, dit Oyana. Kani m’a dit qu’on t’a craché dessus et qu’on t’a maudit quand tu es allé en ville. Je n’arrive pas à imaginer les belles personnes de la ville faire ça. Mais Kani dit aussi que les belles personnes de la ville parlent la bouche fermée. »

Téfeiri grogna. Il n’avait jamais remarqué cela.

« Ma sœur Neema était déjà au service du général Mageta quand la reine leur a demandé de se tenir prêts. Kani, Amana et moi avons dû rester ici pour travailler. » Elle jeta son coté du filet. « Désormais, nous sommes toutes assez vieilles pour nous battre et ce travail m’a rendue plus forte. » Oyana se leva et s’étira. « Quand nous reviendrons, je serai en première ligne, et je montrerai à tout Dominaria qui nous sommes et qui ils sont. »

Téfeiri se pencha pour continuer de tirer le filet.

« Zhalfir est prête », dit Oyana. Elle parla d’un ton ferme qui attira l’attention des autres travailleurs autour d’elle. « Je suis prête. Mes sœurs et mes frères sont prêts. Les Phyrexians ne feront pas le poids contre nous. »

Les autres travailleurs approuvèrent silencieusement, en grondant et en se levant avec le son de la rivière.

« Tu n’as donc aucune raison de te taire, dit Oyana au modeleur. Tu es le père de Zhalfir. Tu es celui qui a modelé nos croyances. Tu es celui qui a déplacé nos terres. Dis ce que tu as sur le cœur, Téfeiri. »

Sans rien dire, Téfeiri attrapa un autre bout du filet. Il travaillait, conscient du regard qu’Oyana et des autres travailleurs fixé sur lui, du soleil qui se couchait et de l’eau fraîche qui serait bientôt froide. Il pouvait sentir la colère monter dans les yeux de quelques travailleurs. Toutefois, la plupart d’entre eux étaient juste curieux et le regardaient comme on regarde une créature rare, majestueuse et dangereuse.

« Quoi ? », demanda Oyana. Même si les autres travailleurs étaient retournés au travail avec application, ce n’était pas le cas d’Oyana. Elle avait longuement regardé Téfeiri, en attente d’une réponse. Il ne savait pas si elle avait posé cette question parce qu’elle l’avait entendu, ou parce que sa voix, qui n’était pas sortie depuis longtemps, s’était noyée dans la rivière.

« Personne n’est prêt, répéta Téfeiri. Personne ne peut les arrêter. Pas même les plus braves. »

Oyana recula. Elle fronça les sourcils, regarda Téfeiri de haut en bas et secoua la tête. Elle partit.

Téfeiri se remit à la tâche.

En aval, là où la prise dansait et bondissait, la rivière se courbait. Elle emportait avec elle les hautes herbes et les immenses arbres, la terre et l’horizon. Des montagnes au loin captaient la lumière du crépuscule. Leurs crêtes flamboyaient malgré la fin de la journée, alors que leurs vallées étaient aussi sombres que la nuit qui tombait. Au-dessus, les nuages déchiraient le ciel dans des tons estivaux, riches et chauds. L’été battait son plein, il n’y avait nul plafond au-dessus du plan. Et au-delà du ciel s’étendait le vide. Un vide empyréen qui les cachait des terreurs au loin.

En levant les yeux, Téfeiri ne distinguait qu’à peine ce vide derrière le ciel, telle une pierre apparente sous une fine couche de peinture, comme si on n’avait pas encore terminé de le dissimuler. Il sourit. Téfeiri était chez lui.


Téfeiri et les pêcheurs retournèrent au village à la tombée de la nuit. Ils portaient sur leurs épaules le long filet enroulé, semblable au cadavre d’un immense serpent. Ils ramenaient leur prise du jour et éclairaient leur route avec des torches. Les conversations étaient rares ; à la tombée de la nuit, tous étaient fatigués de leur journée et ne pensaient qu’à manger, rentrer auprès de leur famille et se reposer.

Le village se confondait avec la terre. Les maisons de briques en terre cuite et les longs bâtiments communautaires aux toits végétaux étaient alignés de façon ordonnée. Des greniers à grains, des fours à céramique, des fumoirs, des forges à froid, des tanneries, des écuries : c’était une plaque tournante pour les agriculteurs, les pêcheurs, les chasseurs et les cueilleurs qui vivaient dans la région. Ce village était lui-même un satellite de la ville qui se situait à presque vingt kilomètres à l’ouest. Seul un bâtiment se démarquait du reste : un petit temple coiffé d’un dôme. La grande salle des croyances. Contrairement aux autres bâtiments et aux autres maisons qui se confondaient avec la prairie, la grande salle des croyances cherchait à être vue. Elle occupait une place centrale au milieu du village ; c’était un modeste temple dévoué aux cinq croyances de la magie, la foi et la philosophie qui guidait Zhalfir, et un havre de repos pour tous les voyageurs de Zhalfir, quelle que soit leur croyance.

Illustration par : Ilse Gort

Téfeiri pénétra dans le bâtiment. Il prit le temps de se laver les pieds dans les abreuvoirs carrelés qui se trouvaient à l’entrée de la grande salle des croyances. Un simple paravent séparait l’intérieur coiffé d’un dôme et l’entrée pour atténuer toute lumière et assourdir tout son venus de l’extérieur. Téfeiri sentit l’encens riche et légèrement sucré qui embaumait l’air. C’était du bois de puits zhalfirin qui se consumait dans le puits de mana au centre de la grande salle des croyances. Il ferma les yeux. Il se recueillit un instant. Il sentit sa douleur s’apaiser, et ses poumons et son cœur s’emplir à nouveau. Ils avaient été vides depuis si longtemps qu’il avait oublié qu’il était possible de les remplir. Il sécha ses pieds. Il contourna le paravent et entra dans la pièce principale.

La pièce sous le dôme formait un pentagone ; chacune de ses faces représentait une des cinq couleurs de la magie. À l’opposée de l’entrée se dressait un mur foncé avec une porte encastrée. Au-delà se trouvaient les modestes quartiers tenus prêts pour les membres des croyances. Un banc bas entourait la pièce. Il était en retrait de l’élément central : un bol en pierre large et peu profond accueillant un petit lit de braises de bois de puits qui se consumaient. Cette faible chaleur était la seule source de lumière dans cette pièce qui, sous le dôme, semblait vaste ; elle semblait plus large que ne le laissait penser l’extérieur du puits de mana.

Téfeiri marcha doucement et silencieusement jusqu’à sa place située à gauche de l’entrée. Il s’arrêta devant l’arche de la Croyance du modeleur, s’agenouilla pour attraper le bord du bol et posa son front contre ce dernier. Le bourdonnement du mana résonna en lui. C’était une sensation agréable qu’il connaissait bien, qui remonta le puits pour s’accumuler dans le grand bassin en pierre. Quelque part sous lui, autour de lui, en lui, se trouvait une ligne ley.

« Kaya, murmura Téfeiri. Est-ce que tu m’entends ? »

Rien. Les braises crépitèrent lorsqu’une bûche de bois de puits s’effrita.

« Je m’appelle Téfeiri Akosa. Je me fais sentinelle pour ceux qui ont disparu et qui ont été oubliés. Je suis le père de Niambi et le mari de Soubira. Je… » Téfeiri s’arrêta dans sa récitation. Il entendit un bruit qui provenait de l’autre côté de la pièce. Il regarda par-dessus le bord du bol et vit une jeune disciple qui fermait la porte derrière elle, avec soin. Elle portait une simple robe blanche qui indiquait qu’elle était une recrue de la Croyance civique ; c’était une soigneuse en herbe. Elle n’avait plus quitté Téfeiri depuis qu’il était arrivé dans le village, non pas pour apprendre, mais pour s’assurer qu’il ne se mette pas en danger.

« Adia », dit Téfeiri, pour saluer la disciple.

« Modeleur », murmura Adia. Parler plus fort au sein de la grande salle des croyances reviendrait à crier. « Tu es revenu. Tu as passé une bonne journée ? »

« J’ai passé une bonne journée, dit Téfeiri en se levant. On a attrapé une bonne quantité de poissons. Les fermiers vont peut-être se plaindre, mais on aura de quoi honorer la commande de la reine et il nous restera de quoi marchander. »

Adia hocha la tête. « Des soldats de Kipamu sont venus. Ils te cherchaient. »

« Quand ? »

« Peu après ton départ pour la rivière. Ils pensaient te trouver ici. »

« Est-ce qu’ils t’ont dit pourquoi ? »

« La guerre », dit Adia. Elle écarta les mains, paumes vers le plafond. Il n’y avait rien à ajouter. La reine avait ordonné que tout Zhalfir se mobilise. Les cinq grands sorciers et le général Mageta s’étaient rangés de son son avis. Un instrument parfait, un état logique et réfléchi, un peuple motivé à faire ses preuves et un plan à sauver. C’était clair et net. Un mythe qui n’attendait qu’à être écrit avec des places immenses recouvertes de socles vides qui n’attendaient qu’à accueillir des statues de ses héros, des murs vides qui n’attendaient qu’à être décorés avec des fresques de ses grandes batailles.

Cette allée, cette ville, ce garçon qui pleurnichait, tout ce sang, ces corps, le feu qui les consumerait, le moteur fait de vie et d’acier.

« Je leur ai dit que tu étais parti à la rivière, dit Adia. Et que tu serais de retour ce soir. »

« C’est trop gentil de ta part », grimaça Téfeiri.

Adia inclina sa tête plutôt que son corps entier.

« J’ai besoin de me laver et de manger avant tout, dit Téfeiri en passant devant la disciple et en se dirigeant vers sa petite chambre. Va trouver les soldats. Dis-leur que je serai là. C’est tout. Merci », dit-il en faisant un signe de main à Adia. Il n’attendit pas de voir si la jeune disciple était partie ; il avait besoin de manger, de se changer et de se reposer. Quand Adia ramènerait les soldats, il n’aurait peut-être plus le droit à un tel luxe.


Parler de soldats était un euphémisme. Téfeiri s’attendait à quelques akindjis qui suivraient des askaris de rang supérieur comme des canetons leur mère. Le groupe qui le salua lorsqu’il sortit de la pièce principale de la grande salle des croyances ressemblait davantage à un conseil de guerre. Une douzaine de sidars musclés vêtus de robes bleues et d’armures finement tannées l’attendaient. C’étaient des grands guerriers prêts à dégainer leur épée. Ils portaient de grosses fourrures sur leurs épaules et avaient un regard d’acier. Les sidars entouraient leur chef, un officier qui portait une armure en argent étincelant et qui tenait un casque avec des ailes rouges sous son bras.

« Planeswalker Téfeiri, hurla le général en ouvrant grand ses bras. Enfoiré, je t’ai enfin trouvé ! »

« Je ne suis que Téfeiri Akosa maintenant, Jabari », dit Téfeiri. Il esquissa un léger sourire, soulagé l’espace d’un instant. Si la reine avait envoyé son bourreau, au moins c’était un ami. « Ça fait longtemps. »

« Tant que ça ? », demanda Jabari en prenant son ami dans ses bras. Il tapa le dos de Téfeiri, le serra contre lui, puis se recula en prenant la nuque de Téfeiri entre ses mains. « Peut-être pour toi, précisa-t-il. Mais pour moi, pas vraiment. J’ai quelques cheveux blancs, mais pas autant que toi. » Jabari rit une nouvelle fois et le lâcha. « Tu es revenu, mais où est le reste du plan ? Nos marins disent toujours qu’il n’y a rien au-delà du rivage, et nos rôdeurs qui pénètrent la brume ne reviennent pas. »

« Zhalfir est toujours isolée, dit Téfeiri. Je suis désolé. »

« Ne commence pas. Arrête de t’excuser, dit Jabari. J’ai entendu dire que tu étais en pèlerinage pour faire acte de repentance. Ça doit être épuisant. » Il mit son cortège au repos d’un geste de la main et guida Téfeiri hors de la grande salle des croyances. « Le fameux mendiant qui a toujours une longueur d’avance. Reprends-toi. Tu es l’archimage de Zhalfir, et Zhalfir a besoin de toi. »

« La reine Wezna me tuera. »

« Tu n’as pas tort, acquiesça Jabari. Mais seulement une fois que tu auras aidé Zhalfir. »

« Je ne sais pas si j’en suis capable, dit Téfeiri. Je ne suis même pas sûr de pouvoir m’aider moi-même. »

« Comment ça ? »

« Je ne sais pas comment je suis arrivé ici. Je n’aurais pas dû pouvoir atterrir ici. Zhalfir est… » Téfeiri agita la main, cherchant ses mots. « Perdue. Seule. Tu l’as dit toi-même : il n’y a rien au-delà du rivage. »

Jabari réfléchit, les bras croisés, en rentrant son menton dans son torse. Il fronça les sourcils, fit quelques pas, puis s’arrêta pour faire signe à Téfeiri de le suivre.

Téfeiri et Jabari marchèrent ensemble, loin des askaris du général et de la grande salle des croyances. Autour d’eux, le village était animé par le bruit des chants, des rires et des cris de joie. La pêche avait été bonne, comme le pensait Téfeiri : ils avaient assez de poissons pour contribuer à l’effort de guerre et pour faire la fête.

« Il faut que tu saches ceci, dit Jabari tout bas. Mes askaris savent seulement que nous sommes venus recruter de nouveaux soldats et te chercher pour te ramener à la reine, mais ils n’en connaissent pas la raison. »

« Et ? »

« Tu n’es pas la seule personne de l’extérieur qui est venue ici. »

« Quoi ? »

« Zhalfir n’est pas aussi seule que tu le penses, dit Jabari. Mon vieil ami, c’est comme ça que tu vas nous aider. Viens avec moi à Aku pour rencontrer cette autre personne qui vagabonde comme toi. »

« Aku. » De vieux souvenirs lui revinrent en tête : les champs de piliers et les tombeaux, la vieille ville d’Aku au-dessus du bourbier fumant qu’était alors le grand marais d’Uuserk. « Ce n’est pas Kærvek ? »

« Non, répondit Jabari. C’est une femme à l’allure majestueuse. Nous l’avons emprisonnée dans l’ambre. Mais avant ça… » Jabari tendit à nouveau la main vers Téfeiri et lui tapota le torse en articulant chaque syllabe. « Elle a demandé à te voir. »

Une femme à l’allure majestueuse. Il en connaissait des tas. Kaya et Saheeli avaient-elles trouvé un moyen de traverser le vide et d’atteindre Zhalfir ? Combien de temps avait passé en dehors d’ici ? Ici, le temps s’écoulait différemment qu’à l’extérieur. Il était bien placé pour le savoir. Elles avaient peut-être reforgé l’Ancre, trouvé Karn, ou bien envoyé cette autre Planeswalker comme on l’avait envoyé lui, mais en s’assurant de pouvoir les ramener tous deux.

« Décris-la moi. »

« Elle est jeune, mais a des cheveux blancs, commença Jabari. Elle a une fine épée et porte une belle armure dorée. Les maîtres doctes disent qu’elle ressemble à une Madarane. Il y a ça, aussi. » Il regarda derrière Téfeiri et siffla à l’un de ses soldats, puis lui fit signe d’approcher. Le soldat, qui portait un objet enveloppé de tissu, s’exécuta rapidement. Il s’inclina et donna l’objet à Téfeiri et à Jabari.

Téfeiri prit le paquet. Il le déballa. À l’intérieur se trouvait un superbe chapeau à grand bord. Il était renforcé, brillant et laqué d’un ton doré et vert. Il était léger, mais solide, servant à la fois de moyen de défense et d’accessoire.

« C’est un étrange chapeau, mais il est utile pour voyager », dit Jabari.

« Et utile pour vagabonder », marmonna Téfeiri. Il reconnut la description de la femme. Ce n’était pas n’importe quel vagabond : c’était la Vagabonde. Une autre Planeswalker, ici, sur Zhalfir. Pas Kaya ou Saheeli, mais quelqu’un d’autre qui savait où le trouver.

« Quand devons-nous partir ? », demanda Téfeiri.

« Demain, répondit Jabari. Il faut qu’on se dépêche : la reine est déjà là-bas et elle attend impatiemment l’arrivée de son archimage. »

« Demain », répéta Téfeiri. Demain, ils partiraient pour Aku pour rencontrer la Vagabonde et découvrir le message qu’elle avait apporté. Quel était ce sentiment ? Téfeiri réalisa que c’était de l’espoir. De l’espoir, l’espace d’un instant, suivi par le murmure de la vérité qui lui fit froid dans le dos : c’était une révélation heureuse, mais pas une bonne révélation. Si Zhalfir se retrouvait de nouveau liée au Multivers, alors elle serait en danger.


Le lendemain matin, les sidars de Jabari s’étaient levés avant l’aube pour s’occuper de leurs chariots d’approvisionnement et de leurs affaires personnelles. Plus tard, lorsque le soleil commença à dissiper la brume matinale, une paire de nouvelles recrues, des jeunes enfin en âge de rejoindre les forces armées, se joignirent à eux. Téfeiri arriva avec ce groupe et le reste du village. Les pêcheurs étaient partis pour la rivière bien avant l’aube. Il ne restait plus qu’une population silencieuse de personnes âgées et d’artisans pour leur dire au revoir.

Le voyage allait être long : ils devaient traverser les plaines de Mtenda pour atteindre les plateaux rocheux qui bordaient le nord de Zhalfir. Dans sa jeunesse, Téfeiri connaissait des routes qui rejoignaient les immenses chaînes de montages de Teremko. Mais il supposa qu’ils suivraient une route à l’est pour longer la côte et traverser le littoral de la baie de Buleusi avant de reprendre la route vers le sud. À la fin de cette route se trouvait Aku, la ville-tombeau, nichée dans les marais d’Uuserk, loin de la lumière de Kipamu.

« Modeleur ? »

Téfeiri releva les yeux du sol et vit Adia, la disciple du puits de mana, qui approchait de lui avec un paquet d’étoffes.

« Je me suis dit que tu devrais prendre ça avec toi », dit Adia. Elle tendit le paquet à Téfeiri, l’air légèrement soucieuse.

« Qu’est-ce que c’est ? », demanda Téfeiri en prenant le paquet. Il le déballa et tint les robes devant lui.

« Les robes du Modeleur qui t’a précédé, dit Adia. Elles sont propres. J’ai raccommodé les trous laissés par les mites et les souris. Elles conviennent à ton statut. Et elles sont un peu ringardes, comme toi. » Elle haussa les épaules.

Téfeiri sourit. « Merci Adia. »

« Je vis pour servir la croyance », dit-elle d’une voix douce. Elle s’inclina, se redressa et plaça ses mains devant elle sans même jeter un regard à Téfeiri.

« J’ai une fille, Adia, souffla Téfeiri, en repliant les robes. Fut un temps où elle avait ton âge aussi. »

« Quoi ? »

« Tu sembles avoir autre chose à me dire. »

Adia hocha la tête.

Téfeiri finit de ranger les robes dans leur paquet, et donna à Adia le temps dont elle avait besoin.

« Si Zhalfir revient, ça veut dire que la guerre éclatera, dit Adia. Pour de bon. On aura fini d’attendre et de s’entraîner. Ce sera la fin de “Zhalfir l’esseulée“, et on sera de retour dans le monde réel. »

« C’est exact », dit Téfeiri.

Adia regarda autour d’elle, pour s’assurer que personne ne puisse l’entendre. Tous les autres étaient déjà en pleine conversation : les grands-parents discutaient avec leurs petits-enfants devenus grands, les nouvelles recrues s’empressaient de frimer auprès des askaris de Jabari et Jabari parlait à ses soldats. Ils avaient droit à un peu d’intimité au milieu du brouhaha ambiant.

« Je ne suis pas sûre que ce soit une bonne chose que Zhalfir revienne dans le monde réel si c’est pour que la guerre éclate pour de bon », avoua Adia. Elle parlait rapidement et d’une traite, comme si elle crachait une pastille infecte qu’on l’avait forcée à garder dans sa bouche. « Il n’est pas bon de vivre dans l’incertitude, mais au moins, nous sommes en paix. La guerre du Mirage et la guerre kelde ont détruit des familles entières, et c’étaient des guerres civiles, entre des gens comme toi et moi. » Elle releva les yeux vers Téfeiri. « Je suis orpheline à cause de la guerre kelde. Je sers la Croyance civique à cause de ce que cette guerre m’a volé. Je pense que notre peuple voit cette guerre contre Phyrexia comme une épreuve. Une grande épreuve où ils pourront démontrer leur puissance et montrer à Dominaria où le soleil se lève. Je pense que nous avons perdu tellement de choses que nous ne pouvons pas nous imaginer perdre autre chose ; nous oublions ce que la guerre prend, même quand il n’y a plus rien à prendre. »

Téfeiri approcha d’Adia pour l’éloigner doucement du groupe. Les recrues étaient en train de faire leurs derniers adieux, et les sidars commençaient à se mettre en rang.

« Je suis terrorisée à l’idée de ce que cette guerre coûtera, continua Adia dans un chuchotement. Je suis morte d’inquiétude. Si nous perdons, il ne restera plus rien. Mais si nous gagnons, qu’arrivera-t-il ? » Elle fit un geste vers les sidars et les recrues. « Zhalfir a passé tellement de temps à attendre et à aiguiser ses armes que, lorsque nous vaincrons Phyrexia, nous nous rendrons compte qu’il n’y a qu’une seule chose que nous sommes capables de faire : la guerre. »

Téfeiri resta silencieux.

« Que devons-nous faire ? demanda Adia. Que dois-je faire ? »

« Téfeiri ! » Jabari l’appela en lui faisant signe. Il se trouvait à l’avant de la file qu’avaient formée ses hommes. « N’essaie pas de filer en douce une nouvelle fois, Planeswalker, ou tu vas servir de souffre-douleur pour entraîner mes troupes ! »

Téfeiri lui fit un signe de main en retour, et prit ses affaires. Adia n’avait pas bougé. La disciple attendait une réponse que Téfeiri ne connaissait pas encore. Au lieu de cela, il ne pensait qu’à une chose : à sa propre fille, Niambi.

Un jour, quand Niambi était encore jeune, ils avaient joué ensemble dans leur cour en l’absence de Soubira. Niambi courait en riant, libre, sans peur. Elle avait trébuché avant que Téfeiri ne puisse la prévenir de faire attention, et avant que Téfeiri ne le réalise, il l’avait figée dans le temps, au milieu de sa chute.

Il se souvint avoir marché autour d’elle, en essayant d’examiner chaque détail de cet instant figé dans le temps et en réfléchissant à chaque conséquence logique qui pourrait en découler s’il la libérait. Il aurait pu la garder dans cet état pour l’éternité s’il en avait eu envie. Et une partie de lui le souhaitait ; une partie de lui souhaitait la garder en sécurité, à l’écart du monde. Mais il avait rejeté cette sombre pensée. Il avait choisi un juste milieu entre la laisser tomber et la sauver : la rattraper.

Il ne pouvait pas les rattraper pour l’instant, mais il pouvait rester à leurs côtés.

« Certaines choses nous dépassent, au point qu’il n’y a rien que ni toi ni moi ne puissions faire pour les arrêter », dit Téfeiri.

« Pas toi, dit Adia. Elles ne te dépassent pas. Tu nous as envoyés ici pour nous protéger, alors garde-nous à l’écart. Protège-nous, protège Zhalfir. »

« Je ne peux pas. » Téfeiri secoua la tête.

« Mais tu l’as déjà fait ! »

« J’étais une personne différente à l’époque, dit Téfeiri. J’étais… Plus que ça. Moins que ça. J’étais quelqu’un d’autre. » Il regarda la route. Il regarda vers Aku et au-delà. « Écoute, Adia. Je ne suis pas ici depuis longtemps, mais depuis que je suis revenu il y a peu… J’ai compris que Zhalfir ne se résume pas qu’à la guerre. Nous ne faisons pas que nous battre. Nous étions quelque chose d’autre avant tout ça, dit Téfeiri. On ne peut pas arrêter l’inarrêtable, mais on peut contrôler ce qui est à venir. » Téfeiri montra les soldats, les recrues, les terres. « Une grande terreur approche à grands pas, mais elle ne restera que si nous choisissons de nous y accrocher. »

« Je ne comprends pas. »

« Nous ne sommes pas soumis au destin, dit Téfeiri. Seulement à notre passé. Nous n’avons pas toujours été des soldats. Nous n’avons pas toujours été seuls. »

Adia leva un doigt pour répondre, avant de s’arrêter. Elle se calma. « Puisses-tu arriver à destination », dit-elle. Adia n’attendit pas la réponse de Téfeiri et s’empressa de repartir vers le village. Téfeiri n’essaya pas de l’arrêter. Il la regarda passer entre les rangs des nouvelles recrues impatientes. Sa robe, blanche comme un nuage, disparut dans la foule.

Qu’avait-il pensé, quand Niambi était tombée ? Aucune réflexion ne pouvait ramener Zhalfir. Enfin, c’était par la réflexion qu’il avait réussi à revenir ici, pour finalement comprendre qu’aucune excuse ne réparerait ce qu’il avait fait. Ramener Zhalfir ne serait pas aussi aisé, car Zhalfir n’était pas qu’un nom sur une carte. C’était une nation, un peuple, une histoire, un futur, et rien qu’il ne puisse contrôler. Rien qu’il ne puisse sauver à lui seul, même avec toute la volonté du monde. N’était-ce pas là la preuve qu’il était un bon parent ? De savoir qu’il ne puisse rien faire d’autre qu’être présent pour son enfant quand ce dernier en avait le plus besoin ? Il leur avait fait du mal, mais il pouvait se tenir à leurs côtés désormais ; il pouvait leur apprendre à se préparer à la chute et les aider à se relever.

« Téfeiri ! »

« Jabari ! », cria Téfeiri en retour. Il attendit un instant. Il embrassa ses doigts, toucha son front avec ces derniers et plaça sa main sur son cœur. Un geste ancien. Une preuve de reconnaissance pour cet endroit, pour ce qu’il lui avait donné et ce qu’il lui avait appris.

Téfeiri partit avec les soldats et les recrues, en marchant à leurs côtés sur le long chemin qui menait à Aku.


Aku, des semaines plus tard

Le voyage jusqu’à Aku ne fut pas long, bien que semé d’embûches. Heureusement, avec l’aide de Téfeiri, Jabari et ses soldats arrivèrent à destination sans subir de pertes. Une fois en ville, Téfeiri et Jabari n’eurent le temps ni de manger, ni de se laver, car des coursiers vinrent les chercher.

Les halls d’Aku dégageaient chaleur et solennité. La présence de la reine exigeait qu’on accroche des tapisseries, qu’on déroule de somptueux tapis sur les sols brillants, qu’on remplisse les brasiers de bois de puits fumant et d’autres combustibles finement parfumés ; Aku était certes une ville-tombeau, mais ce n’était pas un endroit qu’on méprisait. Le lieu était autant décoré pour les vivants que pour les morts : les lignées royales de Zhalfir reposaient là, et la reine était venue à elles pour chercher inspiration, réconfort et accompagnement spirituel. La solennité n’était pas un signe de peur, mais de respect. De paix, pour canaliser au mieux la sagesse d’un peuple.

Cependant, ce sentiment de paix ne concernait pas toute la ville. Des perturbations d’énergie emplissaient les Tombeaux d’Ambre, où, gardés par de puissantes magies, se trouvaient les secrets obscurs du passé, ainsi que les plus anciennes et profondes sagesses que les ancêtres de Zhalfir avaient pu transmettre. On avait demandé des torches supplémentaires et des pierres luisantes pour bannir les ombres persistantes qui subsistaient dans les couloirs ; c’était en particulier le cas dans le dôme principal des Tombeaux d’Ambre, depuis lequel on surveillait les menaces les plus dangereuses pour Zhalfir.

Téfeiri et Jabari suivirent les coursiers à travers les couloirs sinueux du quartier central d’Aku qui menaient aux Tombeaux d’Ambre. C’était là-bas que la reine les attendait. Souvent accompagnés par des clercs de la Croyance du modeleur ou, de manière plus inquiétante, par des clercs de la Croyance civique vêtus d’armures, des tandems de gardes de la reine patrouillaient chaque recoin des les grandes rues étroites d’Aku.

« Ce n’est pas un déploiement normal. Je me trompe ? », murmura Téfeiri à Jabari en passant devant deux clercs qui les saluèrent.

« Pas du tout, marmonna Jabari. Quelque chose a dû se passer dans les tombeaux. »

« Peut-être que la reine repoussera mon exécution, dit Téfeiri. Je plaisante, je ne suis pas en train de supplier, ajouta-t-il. Que ce soit bien clair entre nous. »

Jabari grogna, sans sourire, et accéléra le pas.

Téfeiri et Jabari atteignirent les Tombeaux d’Ambre. Une foule de soldats et de clercs, armes au poing, se tenaient à l’entrée ; certains étaient tournés vers eux, d’autres vers l’extérieur. Deux officiers askaris d’une certaine ancienneté se disputaient à voix basse. Leurs voix sévères se répercutaient en un écho inintelligible dans dans le couloir.

« Askaris », dit fermement Jabari. Il parlait fort, mais ne criait pas. Sa voix portait au-dessus du bruit. « Que se passe-t-il ? La reine est en danger ? »

Les sidars cessèrent de se disputer, et se tournèrent vers Jabari.

« Kærvek s’est échappé », dit l’une des askaris. Elle était calme, mais on lisait bien la nervosité sur ses traits déjà tendus. « Sa prison s’est brisée. Le général est blessé, mais son état est stable. »

« Quand est-ce arrivé ? », demanda Téfeiri.

« Il y a une heure environ », dit l’askari en essuyant la sueur sur son front.

« Le général Mageta a été blessé il y a une heure ? », demanda Jabari, stupéfait, haussant le ton.

« Nous venons tout juste de le trouver, dit l’askari en levant une main pour essayer de calmer Jabari. Il a été blessé lorsque la prison de Kærvek s’est brisée, mais il survivra. Ses blessures sont graves, mais ne seront pas fatales. »

« Laissez-nous passer », ordonna Téfeiri. Ils n’avaient pas le temps de discuter.

Les gardes s’écartèrent. Téfeiri guida Jabari dans la pièce centrale du Tombeau d’Ambre, un vaste dôme sombre. Des appliques étaient enfoncées dans le mur à intervalles réguliers. De faibles lumières luisaient à l’intérieur. Elles étaient toutes vides, mais il était facile de deviner ce qu’elles renfermaient autrefois : des prisons d’ambre.

La pièce était ancienne. Les légendes faisaient mention d’obscures origines, de magies et de rituels obscurs que les ancêtres de Zhalfir avait pris le risque d’employer pour s’assurer que les prisonniers resteraient bien enfermés. Ils avaient suspendu un pendule de protection au sommet du dôme en guisede système d’alerte. Les érudits de Zhalfir rejetaient ces histoires qu’ils disaient être des mythes et des conjectures fantaisistes. Mais peu d’entre eux avait déjà pénétré dans le dôme central des tombeaux, et tous ceux qui l’avaient fait ne pouvaient nier la qualité troublante de cette pièce. Un silence enveloppait le dôme qui aurait pourtant dû résonner comme une salle de concert. En observant le pendule légèrement bruni, on était pris de la certitude que s’il bougeait d’un iota, une catastrophe se produirait.

Téfeiri découvrit avec horreur que le pendule s’était cassé et était tombé sur le sol lustré du dôme. Sa pointe était enfoncée dans le sol, et sa longue chaîne était enroulée autour comme le cadavre d’un immense serpent. Le sol, lustré au point de pouvoir voir son reflet à l’intérieur, s’était brisé sous l’impact. Un liquide sombre, probablement le sang du général Mageta, formait une flaque à côté du pendule, malgré les efforts d’une poignée de soldats pour le nettoyer.

La reine Wezna se tenait à côté. Elle discutait avec deux personnes. La première portait une robe bleu ciel, et l’autre une robe en velours noir. Une troisième personne, arborant une armure blanche, se tenait à l’écart, et examinait distraitement le pendule à terre et le sol brisé. Téfeiri ne reconnut aucune de ces personnes en robe. Il se doutait qu’il s’agissait des chefs de croyances. Cependant, la reine était facilement reconnaissable : elle n’avait vieilli que d’une dizaine d’années depuis leur dernière rencontre il y a de cela des siècles.

« Votre Grâce, appela Jabari en s’inclinant rapidement lorsqu’elle se retourna. J’implore votre compréhension. Nous arrivons tout juste… »

« Trois cent soixante ans », dit la reine Wezna en avançant vers Téfeiri. Elle ne criait pas : elle déclarait. Sa voix résonna dans le dôme. « Tu es parti pendant trois cent soixante ans, et nous nous battons toujours contre eux, dit la reine. Les Phyrexians menacent nos frontières, Kærvek s’est échappé et le général Mageta est blessé. » Elle s’arrêta à quelques pas de lui, suivie par les trois chefs de croyance. « Et te voilà de retour parmi nous. Il n’existe aucune punition assez grande et juste pour les crimes que tu as commis. Donne-moi une raison de ne pas mettre immédiatement à exécution la sentence qui t’attend. »

« Si vous me tuez, dit Téfeiri, ils gagneront. »

La reine inspira et expira. Puis elle hocha la tête.

« Sidar Jabari, dit la reine Wezna en s’adressant au vieil officier tout en continuant de regarder Téfeiri dans les yeux. Les Civiques ont un hôpital dans le quartier du pilier. Le général est en convalescence là-bas. Va le voir. Tu seras à la tête de l’armée jusqu’à son rétablissement. »

« À vos ordres, votre Grâce », dit Jabari. Il partit, et Téfeiri entendit le son de ses bottes qui se hâtaient sur la pierre lustrée.

La reine Wezna se tourna et revint près du pendule à terre, les mains croisées derrière son dos, en réfléchissant. Elle s’arrêta devant les trois mages de croyance, dos à Téfeiri.

« Ce n’est pas moi qui t’ai convoqué ici, dit la reine Wezna à Téfeiri. Je ne peux pas encore te faire traduire en justice pour tes crimes, qu’ils soient graves ou non, mais j’ai ma fierté. » Elle se retourna pour lui faire face. « Je ne t’ai pas convoqué ici. »

« Où est-elle ? », demanda Téfeiri.

La reine chercha dans sa robe, et en extirpa une petite babiole en ambre de la taille de sa paume qu’elle lui lança. La prison d’ambre rebondit sur le sol en pierre lustrée et glissa jusqu’à s’arrêter aux pieds de Téfeiri.

Téfeiri se pencha pour ramasser la prison et la pinça entre son index et son pouce. Il la mit devant la lumière pour illuminer la personne qui se trouvait à l’intérieur. C’était une guerrière en pleine attaque, petite, figée dans le temps, qui venait probablement de se transplaner. Téfeiri plissa les yeux et vit la détermination sur son visage qui se transformait en confusion. Elle ne fronçait plus autant les sourcils, elle avait la bouche ouverte, prête à poser une question ; ses yeux étaient grand ouverts tant elle était surprise.

La Vagabonde.

« Quand tu auras finir de la regarder, pose-la au sol », dit la reine.

Téfeiri s’exécuta. Il posa doucement la prison au sol et recula.

La reine Wezna claqua des doigts, et le chef de croyance vêtu d’une armure blanche avança. Il murmura un sort, subtil et sobre. La prison se mit à briller.

« Recule, archimage », dit-il en regardant Téfeiri à travers la lumière de plus en plus forte.

Téfeiri obéit et fit un autre pas en arrière alors que la prison commençait à faire des étincelles. Il protégea ses yeux, puis se retourna lorsque la prison s’ouvrit d’un coup dans un bruit sec suivi d’une courte expiration de la Vagabonde qui achevait son coup d’épée en poussant un cri de surprise.

La Vagabonde reprit ses esprit. Essoufflée, elle se remit en position de défense. Elle peinait à retrouver son sang-froid.

« Vagabonde, cria Téfeiri en levant les mains en l’air. C’est moi. »

« Téfeiri ? », hurla-t-elle. La Vagabonde regarda autour d’elle en restant sur ses gardes. « Où suis-je ? Depuis combien de temps suis-je ici ? »

« À Aku, répondit la reine Wezna. Sur Zhalfir. Tu es arrivée ici il y a un mois. »

« Un mois ? », répéta la Vagabonde. Elle baissa son épée. Elle regardait l’espace entre eux pour chercher quelque chose qu’elle seule pouvait voir. « C’est impossible… Téfeiri, tu as disparu il y a quelques jours seulement ! »

« L’Ancre n’a pas fonctionné », songea Téfeiri. Pourquoi ? La lithoforce de Serra, le potentiel d’un plan qui le traversait, quelque chose qui avait un lien avec le Sylex. Cet espace que lui et Urza avaient poursuivi après son explosion, tout ce potentiel devait aller quelque part, devait trouver quelque chose à quoi s’accrocher. La chance, le destin, ou un mélange des deux.

« Nous n’avons peut-être même pas une journée devant nous », murmura la Vagabonde. Sa silhouette vacilla, trembla. Elle était en train de disparaître de ce plan.

« Comment ça ? », demanda la reine Wezna.

« La menace de l’invasion de la Nouvelle Phyrexia se profile à l’horizon », dit la Vagabonde. Elle jeta un regard à la reine, puis à Téfeiri. « Notre attaque a été dispersée sur tout le plan, Nissa n’est plus là… Je crois qu’il est trop tard. Je ne pense pas que nous pourrons les arrêter. »

Sa déclaration leur fit froid dans le dos. Téfeiri recula, tendit une main derrière lui et s’assit au sol. Il mit sa tête entre ses mains. Autour de lui, les tombeaux se mit à grouiller d’action. La reine cria des ordres aux trois chefs de croyance, qu’ils transmirent à leurs attachés et à leurs lieutenants, qui partirent immédiatement,. La Vagabonde s’accroupit à côté de Téfeiri et essaya de lui parler de la bataille à la tour d’Urza, de l’attaque sur la nouvelle Phyrexia, de l’arbre qui était en train de pousser, du plan désespéré mis au point. Hélas, ses paroles saccadaient, hoquetaient, rarement cohérente. Elle disparaissait peu à peu à en raison de son étincelle instable.

Peut-être était-ce à cause de l’acoustique étrange de cette pièce en forme de dôme, ou peut-être était-ce un sort réconfortant qu’il avait lancé inconsciemment, mais tout s’effaçait, tout disparaissait, comme on enlève un manteau trop lourd qui nous pèse sur les épaules. Il entendit la voix de Jabari résonner dans sa mémoire. Arrête de t’excuser. Téfeiri enleva ses mains de son visage et regarda ses paumes. Il avait beau les avoir lavées maintes et maintes fois depuis ce jour-là sur la route, elles étaient toujours teintées de la terre rouge de Zhalfir. Il ne pourrait jamais se débarrasser de cette terre. Il ne pourrait jamais être seul.

Eshe, qui avait traversé les âges.

Oyana, qui affrontait le danger avec courage.

Adia, qui rêvait d’un futur sans guerre.

Soubira, qu’il avait aimée, et qui l’avait aimé.

Niambi, qu’il aimait, et qui l’aimait.

Zhalfir, aux côtés de qui il se tenait, lui, père des croyances, père d’une nation.

« Il n’est pas trop tard », dit Téfeiri en esquissant un sourire, l’air redoutable. Les incursions des Phyrexians dans tout le Multivers avaient éveillé quelque chose que leurs esprits mécaniques apprendraient à craindre : Téfeiri, qui leur montrerait que le soleil se lève sur Zhalfir.


Sauf ordre contraire, tous les habitants de la Basilique Blême suivaient des chemins prédéfinis selon leur statut. Les aspirants circulaient dans les tours vertébrales comme le sang coule dans les artères. À chacun de leur pas, les apophtegmes des Gravures d’argent, la volonté d’Elesh Norn faite métal et chair, les faisaient délirer dans des spasmes convulsifs. Haut dans le ciel, des anges en pèlerinage silencieux planaient entre des aires brumeuses, grâce aux assemblages de cartilage qui leur servaient d’ailes. De là-haut, ce mouvement incessant des aspirants ne semblait pas dû à leur multitude coordonnée : c’était l’œuvre d’un grand mécanisme, l’élaboration d’un unique sceau divin qui se tordait tel un cordon ombilical. En-dessous, dans l’enceinte de la cathédrale d’Elesh Norn, des chanceliers emmaillottés dans des pignons imbibés de pétrole et des faufilins pris d’une frénésie extatique entraient et sortaient de la Grande Annexe, semblables à des asticots écumants, proclamant la sagesse de leur bien-aimée Mère des machines.

Seuls ceux qui avaient été choisis au sein de la légion cuirassée de la Milice d’albâtre pour garder les avenues de la cathédrale étaient dispensés de ces cycles sans fin. Contrairement à tous les autres êtres au sein de la Basilique Blême, leur rôle consistait à rester parfaitement et inhumainement immobiles, car ils étaient le regard fixe, qui ne cillait pas, de la Mère elle-même. Malheur au légionnaire qui dérogeait à la règle pour essuyer une tache sur son armure.

En conséquent, Tezzeret ne fut pas surpris que les deux centurions postés à la porte principale restent de marbre alors même que le Pont planaire s’ouvrait pour déchirer l’espace sacré devant eux. Une fois encore, il se trouvait sur ce maudit plan de la Nouvelle Phyrexia, avec l’endosquelette carbonisé de Rona dans ses bras.

Illustration par : Camille Alquier

« Je dois voir la Mère », aboya-t-il aux gardiens. Les énergies du Pont planaire rongeaient sa chair tels des oiseaux nécrophages voraces. Aucun d’eux ne bougea ni ne lui prêta la moindre attention. « Est-elle ici ou est-elle au centre ? » Toujours aucune réponse. « Répondez-moi, bon sang ! »

« Amenez-le nous », retentit une voix. Sa voix. « Envoyez l’autre à Jin-Gitaxias pour la reconditionner. » Sur ces mots, les gardes s’écartèrent ; l’un emporta la dépouille de Rona, et l’autre escorta Tezzeret dans sa longue traversée de la cour intérieure. Un bourdonnement régulier emplissait l’endroit, tout comme la puanteur de l’encens douceâtre et légèrement âcre qui brûlait dans le brasier central. Il y avait une ferveur que Tezzeret n’avait jamais remarquée auparavant : le grand frisson des instants précédant un sacrifice rituel.

Tezzeret arriva finalement dans une pièce soutenue par des entretoises de porcelaine rappelant des os qui s’élargissaient sur les murs. Un ensemble de nervures se rejoignaient au centre pour former une estrade de marches hautes qui menaient au trône d’Elesh Norn. Deux gigantesques animarches s’arrêtèrent dans leur tâche au fond de la caverne pour lancer un regard noir à Tezzeret, qui approchait à travers les espaces intercostaux.

« Mère honorée », dit-il en s’agenouillant.

« Nous ne t’avons pas appelé », dit Elesh Norn. Sa voix était si puissante qu’elle luit parut éclater dans sa tête. « Pourquoi as-tu abandonné Dominaria ? »

« Nos forces ont été submergées », commença Tezzeret.

« Impossible. Nos forces sont toutes-puissantes. »

« Vous avez raison, Mère. Mais… Nous avons été trahis. Rona, avec qui je suis arrivé… »

« Une des sbires de Sheoldred », le coupa Elesh Norn. Il sentit du jugement dans sa voix. Elle se leva de son trône et commença à descendre les marches. « Sheoldred, qui est une apostate à nos yeux ! Ses forces se sont retournées contre nous dans une tentative inconsidérée de s’emparer du pouvoir. On méprise notre miséricorde malgré les transgressions passées des thanes… Un tel sacrilège nous afflige. »

Tezzeret manqua de trébucher en reculant. Sheoldred ? Après ce qui était arrivé sur Dominaria, Tezzeret était convaincu que Sheoldred avait été mise au pas, comme un animal certes sauvage et têtu, mais un animal quand même. Il avait déjà prévu d’accuser Rona de ses propres échecs. La trahison de Sheoldred était un délicieux détail qui permettait de rendre sa couverture crédible.

« Rona a parfaitement joué son rôle dans le plan de Sheoldred. Elle a même réussi à me berner. Nous avons été mis en déroute lorsque nos propres troupes se sont retournées contre nous. »

« Et les Planeswalkers ? », demanda Elesh Norn.

« Ils se sont échappés. »

« Tu ne les as pas suivis ? » L’ombre d’Elesh Norn le surplombait. Par réflexe, il rentra les épaules. Il ressentit alors une douleur lancinante à cause du Pont planaire ; il fut pris de vertige.

« Je les aurais bien suivis, Mère, dit-il en serrant les dents. Mais je devais vous prévenir qu’il y avait un traître dans nos rangs. J’étais… inquiet. »

Norn, désormais assez proche de lui, se pencha, tendit le bras et releva le menton de Tezzeret d’un doigt. « Tu nous aimes, n’est-ce pas ? »

Un coup bien placé de son bras aiguisé suffirait pour lui empaler ou lui arracher la tête. La douceur de cette action valait-elle l’enfer qu’il vivrait par la suite ? La mort ? S’il avait de la chance. La torture ? Il préférerait la torture à ce qu’il lui arriverait vraiment : on l’étirerait et on déformerait son corps et son esprit pour permettre au pétrole de prendre le dessus sur son esprit tenace. Cela marquerait sa fin et le début de sa servitude éternelle. Comme Tamiyo. Comme Crinièredor. Tezzeret ferma les yeux et supplia son cœur de ralentir en se concentrant sur le bruit de sa respiration.

« Quel enfant n’aime pas sa mère ? », dit-il, en relevant ses yeux.

« Alors, dis-nous tout, cher enfant. Parle-nous de l’ennemi. »

« Nous sommes tombés sur la nouvelle meneuse des Planeswalkers. Elle a frappé Rona avec son arme terrifiante. » Tezzeret vit la colère d’Elesh Norn disparaître de son visage, remplacée par de l’appréhension. « Leur meneuse s’appelle Elspeth Tirel. » Tezzeret marqua un silence. Dans d’autres circonstances, cela aurait été un plaisir rare de voir la peur se dessiner sur le visage de la Mère des machines. Mais le Pont planaire lui ôtait toute satisfaction.

« L’arme… »

« C’était une lame blanche et étincelante, dit Tezzeret. Comme un éclat d’étoile. Nous n’avons eu aucune réponse, comme nous n’aurons aucune réponse quand elle arrivera sur la Nouvelle Phyrexia. C’est désormais inévitable, vous devez l’accepter. »

« Nous serons prêts », grogna Norn.

« Aucun de nous ne sera prêt. Cependant, elle a renoncé à l’avantage d’une attaque surprise. Nous devons en profiter pour… » Une autre vague de douleur traversa le corps de Tezzeret qui fut forcé de se remettre à genoux, dans une position de fausse pénitence. « Vous aviez promis de m’accorder une faveur, dit-il en se tenant la poitrine. Avec un corps en sombracier, je pourrai être votre bouclier invincible. Croyez en moi comme je crois en vous, Mère, et ensemble, même le général ennemi le plus puissant ne pourra nous vaincre. »

La vue de Tezzeret se voila. Il avait passé trop de temps sans ses traitements à Kuldotha. Désormais, il était entre la vie et la mort, et dépendait de la pitié et surtout de la crédulité de celle qu’il détestait le plus dans tout le Multivers. C’était presque cocasse qu’il se retrouve une nouvelle fois dans cette situation. C’était aussi rageant. Il tomba au sol, sur le dos, incapable de se concentrer sur autre chose que l’invisible feu électrique qui brûlait son corps.

« Tu as porté un énorme fardeau sur tes épaules pour nous, dit Elesh Norn en caressant la joue de Tezzeret d’une de ses griffes. Il est temps de récompenser ta foi. Une promesse est une promesse. » La dernière chose qu’il vit avant de perdre connaissance fut l’insupportable sourire hautain d’Elesh Norn.


L’air, froid et humide, sentait le pétrole. Tezzeret ouvrit brusquement les yeux. Des câbles semblables à des tentacules étaient enroulés autour de ses jambes et de ses bras ; il ne pouvait pas bouger. Au-dessus de sa tête se dressait un orbe irisé. Des tenailles en mercure durci en ressortaient, telles les pattes d’une araignée mécanique.

Illustration par : Sarah Finnigan

« Les procédures de stabilisation sont terminées. Le sujet reprend conscience. »

Jin-Gitaxias. Tezzeret s’efforça d’étudier son environnement. Il reconnut les menus détails du laboratoire peu éclairé de Jin-Gitaxias : une panoplie de caissons de conservation en fluide qui préservaient des morceaux de l’histoire du plan. Un costume métallique habituellement porté par les agents neuroks. Un prisme à cinq faces de la taille d’un poing ; une faible lumière jaunâtre émanait de son centre comme un soleil obscurci. Les restes d’un petit cube noir en suspension dans les airs, disséqué comme un animal que l’on étudie.

« Combien de temps ai-je dormi ? », demanda Tezzeret. Sa voix était enrouée, sa gorge sèche.

« Assez pour que je puisse me préparer à la tâche qu’on m’a confiée », répondit Jin-Gitaxias qui apparut devant lui. Il marqua une pause pour étudier la tablette entre ses mains, qui lui permettait de surveiller l’intégrité de son matériel de laboratoire. Puis, il ondula son cou pour regarder Tezzeret droit dans les yeux. « Il est imprudent de se lancer dans des projets au dernier moment. En particulier à un moment aussi critique. La discrétion d’Elesh Norn est tout juste inacceptable. »

Enfin. Sa récompense était enfin là. Tezzeret aurait pu se réjouir s’il ne s’était pas trouvé attaché au siège dans lequel on avait ouvert et décortiqué Tamiyo comme un fruit blet. On avait enlevé et remplacé ses organes par des glandes gorgées de sanie et de pétrole, un foie acide et des os en métal noir. Témoin de sa renaissance en tant que Phyrexiane, Tezzeret s’était juré qu’il ne lui arriverait jamais la même chose, et qu’il mourrait avant qu’il ne devienne le sujet des expériences horribles de Jin-Gitaxias. Mais songer à la mort et l’affronter étaient deux choses bien différentes.

La porte située à l’autre extrémité du laboratoire s’ouvrit dans un bruit presque imperceptible. Plusieurs faufilins tentaculaires se ruèrent à l’intérieur en tirant une plateforme flottante similaire à celle que Tezzeret avait utilisée pour escorter le corps démembré de Karn jusque dans le jardin d’Elesh Norn. Cependant, cette plateforme portait quelque chose de bien plus important à ses yeux : la récompense qu’il convoitait depuis bien longtemps. Des traînées d’or tourbillonnaient à travers et autour de sa surface noir foncé.

Un corps en sombracier. Froid. Indestructible. Invincible. Il sentit quelque chose monter en lui, quelque chose qui surpassait même l’éternelle sensation du Pont planaire qui brûlait sa chair. Était-ce de l’espoir ? Pas du tout. Seuls les simples d’esprit pouvaient croire à une telle illusion ; Tezzeret n’en avait pas l’utilité. Il ressentait de la clarté. Rien de tel que le désespoir pour réaffirmer sa conviction, pour renforcer sa détermination.

Illustration par : Zezhou Chen

« Il n’est pas simple de travailler avec du sombracier, expliqua Jin-Gitaxias avec sa voix monotone si particulière. Une fois le métal forgé, il doit immédiatement être sculpté dans la forme souhaitée. Cela nécessite une hâte qui exige inévitablement des normes laxistes sur d’autres aspects. Urabrask cautionne un gâchis pareil, mais pas moi. »

« Je comprends parfaitement », dit Tezzeret. Il se moqua intérieurement de Jin-Gitaxias, qui prétendait comprendre quelque chose qui de toute évidence lui échappait complètement. Tezzeret avait vu assez de choses dans le domaine d’Urabrask pour savoir que la façon dont le métal était extrait et façonné n’avait rien de traditionnel. Forger du sombracier consistait à forger la réalité autour de là où se trouverait le métal, et prédire sa future forme pour qu’il se modèle à sa guise. Tezzeret supposait que le mécanisme magique exact reposait en une collision fortuite de rituels assemblés au cours d’innombrables cycles. Rituels qui étaient probablement basés d’une part sur des techniques vulshokes et d’autre part sur des connaissances qui avaient été acquises en dehors du plan il y a bien longtemps. Malgré ses connaissances, toutes ses tentatives pour reproduire du sombracier avaient échoué. Tezzeret n’aimait pas cela : il n’était pas à l’aise à l’idée de ne pas réussir à percer les secrets du sombracier. Mais il avait appris à l’accepter.

« C’est une leçon d’efficacité, dit Jin-Gitaxias en faisant signe d’approcher à deux drones d’assistance semblables à des limaces. L’étherium extrait de ta carcasse sera modelé et chargé pour créer une force de liaison qui stabilisera ta nouvelle forme. » Les drones se penchèrent en avant. Ils visèrent le bras métallique de Tezzeret avec des faisceaux d’énergie concentrée jaillissant d’ouvertures au sommet de leur tête.

Au début, il ne sentit rien ; mais rapidement, une sensation de chaleur de plus en plus forte laissa place à une fournaise accablante à l’endroit où étaient reliés son bras et son épaule organique. Tezzeret regarda l’incarnation de sa propre singularité fondre en scories. Jin-Gitaxias les récupéra dans un bol et versa l’étherium surchauffé dans un circuit étroit incisé dans le dos du corps en sombracier.

« Cela restera une faiblesse pour cette forme autrement impénétrable, mais avec les précautions adéquates, tu devrais pouvoir limiter les risques. »

Quelle ingéniosité, pensa Tezzeret. Un artificier moins astucieux aurait essayé d’inventer une façon plus complexe de créer cette liaison. Probablement dans le but d’impressionner une académie de collègues minaudiers. Ce n’était pas du genre de Jin-Gitaxias. Il avait compris que l’attraction élémentaire des éléments, où ce qui ressemble s’assemble, était pure, inviolable et unique.

« Maintenant, dit Jin-Gitaxias. Commençons la procédure. »

L’orbe opérateur descendit sur Tezzeret. Un cercle de tenailles se referma autour de son cou. Puis, l’orbe se mit au travail. Il commença par implanter des microfilaments sous sa peau ; chaque perforation lui fit l’effet d’un coup de couteau. Des aiguilles chirurgicales incrustées dans son siège firent de même et entrelacèrent des fils d’étherium autour de sa colonne vertébrale. Tezzeret contracta ses doigts et serra les poings. Une énergie anesthésiante commença à pénétrer les fils métalliques. Soudain, il sentit sa tête tourner.

Puis, sa tête et sa colonne vertébrale furent séparées de son corps ; il ne resta plus qu’un bout de viande balafrée et du métal brûlé autour du Pont planaire. Il n’avait jamais eu aussi mal de toute sa vie. Sa souffrance était telle que des visions commencèrent à submerger son esprit : des fragments d’hallucinations qu’il avait déjà vues lorsque Bolas l’avait sauvé alors qu’il était au seuil de la mort. Un océan dissimulé par une brume d’un bleu céruléen. Une île de métal, d’herbes en étain brûlé et de feuilles d’arbres tranchantes comme des lames de rasoir qui s’étaient ternies avec le temps. Des accords de contrebasse funèbres qui se transformaient en carillons assourdissants d’une horloge titanesque.

Puis… le noir complet. Le silence.

Tezzeret ouvrit les yeux et fut aveuglé par les lumières au-dessus de la dalle de marbre tacheté. La procédure avait-elle fonctionné ? Était-il vivant ou mort ? Il n’était pas sûr. Il se concentra sur le bout de ses doigts posés sur la dalle et s’émerveilla en voyant qu’ils bougeaient sur commande. Par ailleurs, il ressentit une force brute et physique inconnue dans les muscles de ses membres. Du moins, si on pouvait les considérer comme des muscles. Plus important encore, il ne sentait plus le Pont planaire le brûler, et son esprit était plus vif qu’il ne l’avait été depuis des mois. Il avait l’impression qu’on avait excisé une partie malade de son corps.

« Vous vous êtes surpassé », dit Tezzeret.

« Négatif, dit Jin-Gitaxias. Cette avancée était largement dans le champ de mes compétences. »

« Dans tous les cas, j’admire sincèrement votre talent », déclara Tezzeret. Aussi sincèrement que je méprise votre plan répugnant et tout ce qui s’y trouve. Là-dessus, il voulut entrer dans les Éternités aveugles, mais cette fois-ci, en tant qu’homme reforgé. Il avait hâte de rendre visite à tous ceux qui lui avaient fait du tort, puis de gagner en puissance afin de récupérer la place qu’il lui revenait de droit dans le panthéon du Multivers.

Cependant, il ne parvint pas à bouger. Il n’entendit pas le bruit caractéristique des bords universels qui se séparaient, il ne sentit pas la nausée passagère qui accompagnait habituellement son transplanement. Tezzeret fléchit ses membres, mais les pinces autour de ses poignets et de ses chevilles étaient elles aussi en sombracier incassable, comme le reste de son corps. C’est alors qu’il remarqua une fine couche de métal argenté et ondulé qui était incrustée dans les fissures peu profondes de la dalle de marbre sur laquelle il était couché. Il lâcha une injure en se souvenant comment on avait empêché à Karn de sauver sa peau. Tezzeret était tombé dans le même piège.

« Libérez-moi immédiatement ! » Tezzeret essaya une nouvelle fois de se transplaner, en vain. « Vous entendez ? »

« Il y a un autre inconvénient avec le sombracier, dit Jin-Gitaxias sans prêter attention aux cris de Tezzeret. Il faut des semaines, voire des mois d’exposition au pétrole luisant pour achever la conversion en pestacier. » D’un cliquetis de griffes, le praetor fit redescendre l’orbe opérateur près de son épaule. Il tapa sur l’orbe. Un tentacule glissant sortit de son nid d’appendices. « Heureusement, nous avons fait des avancées pour pallier au mieux ce problème, car il est en lien direct avec la tâche que nous devons accomplir. » Le tentacule se déplia et révéla un petit module à son extrémité.

C’était la nouvelle version de la Puce de Réalité. Elle dégoulinait de pétrole luisant.

« Cela ne faisait pas partie de mon accord avec notre Mère ! cria Tezzeret. Sa colère s’abattra sur vous ! »

« On ne peut violer un accord déjà rompu. » Jin-Gitaxias fit un geste vers le mur à l’autre extrémité. Ce dernier s’ouvrit pour révéler un caisson de conservation rempli d’un liquide bleu. À l’intérieur se trouvait le corps d’un des lieutenants en chef d’Urabrask, un chef ferrailleur. Ses bras étaient tendus loin de son corps, comme une araignée qu’on déchirerait. Il savait. Jin-Gitaxias savait tout : Urabrask, les Mirrans, les attaques imminentes. Tout. « Ces développements ne sont pas pour me déplaire. Ils ouvrent des possibilités suffisamment intrigantes pour que je me garde d’y faire obstacle. »

Lui aussi convoite le trône, se dit Tezzeret.

« Néanmoins, je regrette de ne pas avoir donné vos tissus à mes larves lors de notre première rencontre. Mais tout comme les erreurs peuvent être corrigées, les traîtres eux peuvent être… Quelle est la nomenclature d’Elesh Norn ? Ah, c’est vrai. Pardonnés. »

Une fois de plus, Tezzeret essaya de briser ses liens en lançant des sorts tous azimuts. Mais à chaque incantation, l’incrustation en métal sur la dalle le brûlait et changeait de couleur : elle passait d’une teinte argentée à une opalescence éclatante qui aspirait l’énergie dont il avait besoin pour s’échapper. Il continua tout de même à lancer des sorts, à la recherche désespérée de quelque chose qui pourrait pénétrer ce champ affaiblissant.

Et quelque chose se produisit. Planeswalker, entendit-il une présence parler. C’était une voix qui bouillait de la rage des forges de Phyrexia, malgré le fait qu’elle soit presque éteinte tant elle était épuisée. Comment arrives-tu à atteindre mon esprit ?

Cela faisait si longtemps que Tezzeret avait pris contact avec un Télémine qu’il avait presque oublié comment faire. Bien moins sort véritable que tour de mentaliste d’Esper, l’établissement d’un tel lien mental permettait à son créateur de prendre le contrôle total d’une autre personne, à condition que cette dernière lui donne son accord. Inutile contre un ennemi. Mais dans une telle situation, c’était l’arme improvisée parfaite.

Laisse-moi prendre le contrôlePhyrexian, pensa Tezzeret. Je suis le seul moyen de te sauver, et tu es le seul moyen de me sauver. Sinon, il en sera fini de nous deux. Il y eut d’abord une résistance naturelle de la part du chef ferrailleur, qui laissa rapidement la psyché de Tezzeret se fondre dans son nouvel hôte. Il sentit la rage de la créature qui faiblissait, comme un fourneau qui se consume, et l’alimenta avec sa propre rage.

Alors que Jin-Gitaxias surveillait son corps à travers le mur transparent de la prison du chef ferrailleur, Tezzeret visa la vitre pour que la créature la frappe avec sa mâchoire supérieure acérée. Il la frappa encore et encore. Chaque coup brisa de plus en plus le caisson de conservation jusqu’à ce qu’il explose en mille morceaux.

Illustration par : Billy Christian

Tezzeret fit avancer le chef ferrailleur pour mettre Jin-Gitaxias à terre. La Puce de Réalité lui glissa alors des mains. En d’autres circonstances, Tezzeret aurait frappé Jin-Gitaxias sans retenue. Il l’aurait brisé. À la place, il ordonna au chef ferrailleur de charger et de frapper la dalle de marbre avec tout le poids de son bras lourd recouvert de métal pour percer un trou à l’intérieur. Encore et encore. Plus il endommagerait la dalle et sa surface, plus la connexion magique de Tezzeret se renforcerait. Il leva les bras du chef ferrailleur pour qu’il frappe une dernière fois la dalle. C’est alors qu’il sentit une vive douleur dans son dos, ou plutôt dans celui du chef ferrailleur. Il baissa les yeux et vit la griffe de Jin-Gitaxias ressortir de l’abdomen du chef ferrailleur.

L’esprit de Tezzeret revint alors dans son propre corps à temps pour voir Jin-Gitaxias jeter le corps du chef ferrailleur au sol. Ce n’était plus qu’une carcasse sans vie, devant lui. Aucun mot ne sortit de la bouche du praetor. Le temps n’était plus aux réflexions ; le praetor et le Planeswalker en étaient tous les deux conscients. L’un comme l’autre se mirent en mouvement. Jin-Gitaxias se jeta en avant, armé de la Puce de Réalité.

Tezzeret se transplana.


Saleté. Obscurité. Désolation. Beaucoup de mots décrivaient la Mer creuse, ce souterrain abandonné où l’élite d’Esper reléguait les scories qui leur rappelaient leurs pêchés. Mer creuse, la sans-cœur ! Mer creuse, l’impitoyable ! Plus vous viviez ici, plus son titre était long et complexe. Mer creuse, qui empale les crânes des oubliés sur des piques usinés à la perfection ! Mer creuse, dont les plumes de suie des feux sauvages étouffent les espoirs toxiques de la jeunesse et les suppliques acides de la vieillesse ! Mer creuse, aux dents semblables à des éclats de verre, et des os de sarcophage donnés à manger aux nourrissons après en avoir retiré la moelle !

Tezzeret, à genoux, repoussa des gros morceaux de pavé brisé pour creuser la terre. Il porta la suie et la terre à son visage. Il sentit le sang, la maladie et le désespoir. Puis, il se pencha en arrière et éclata de rire. Les poètes pouvaient bien ravaler leurs vers. Pour Tezzeret, il n’y avait qu’un seul mot associé à la Mer creuse qui avait du sens :

maison.

« Hé ! », s’exclama une voix derrière lui. Elle résonna sur les murs des bâtiments condamnés qui s’alignaient le long de la venelle crasseuse. « On dirait bien que quelqu’un s’est pris une bonne cuite. J’imagine que t’as plus un rond dans tes poches, mais on va choper ce qui te reste ! »

Tezzeret tourna la tête et découvrit une bande de gamins. Le plus grand et le plus vieux se tenait devant, armé d’un couteau. Il avait un regard d’acier ; il avait probablement déjà été lui aussi menacé de cette façon, et devait autant avoir l’habitude de mener ce genre de « transactions forcées » que les habitants des beaux quartiers de Vectis de prendre le thé. Il y a bien longtemps, bien avant les dragons transplaneurs, la confluence des plans et les fléaux biomécaniques, Tezzeret portait les mêmes guenilles et avait le même air renfrogné que ces jeunes.

« Je suis dans un moment de faiblesse, dit Tezzeret, calmement. Je vous autorise à partir. »

« On va rester, mais merci de la proposition ! », dit une fille. Tezzeret devina que c’était probablement le bras droit du gamin qui menait la bande. « C’est quoi ces trucs qui flottent autour de lui ? »

Le chef sourit d’un air suffisant. « De la magie. Les riches dépensent des fortunes pour des décorations comme celles-ci. » Il agita son couteau vers Tezzeret. « Allez. Donne-nous ce que t’as et on te fera aucun mal. »

« Je n’ai rien à vous donner. »

« Ça, c’est moi qui vais en juger », dit le chef.

« Tu oserais me juger ? En quoi serais-tu digne de me juger ? »

« J’ai un couteau dans les mains si t’avais pas remarqué. »

« J’ai bien vu », dit Tezzeret. Puis, d’un coup, il se tourna, se leva et lança un sort pour animer le couteau dans les mains du chef. L’arme s’arracha des mains du garçon, lui sectionnant presque entièrement les doigts, avant de se plonger dans sa paume. « Je vois. »

« Une liche d’Éther ! », cria la fille en fuyant à toute vitesse, tandis que le meneur détala en se tenant le poignet. La bande se dispersa. Ses membres les plus grands piétinèrent les plus petits qui étaient dans les derniers rangs. Il ne resta alors qu’un seul enfant blond qui s’était fait pousser par ses anciens camarades. Le garçon se recroquevilla contre un bâtiment à proximité. Tezzeret reconnut l’endroit. Il avait réussi à atterrir sur le pas de la porte de sa maison d’enfance, le lieu épouvantable où il était né.

« Pourquoi ce bâtiment est-il barricadé ? demanda Tezzeret au garçon. Et qu’est-il arrivé à l’homme qui vivait ici ? »

« Personne n’a jamais vécu ici, à ce que je sache. »

Son père était-il mort ? Cela ne le surprendrait pas. Quand il ne maudissait pas les autres ferrailleurs qui « volaient son dû » ou ne criait pas sur son fils pour se passer les nerfs, il buvait en bavardant avec le fantôme de sa défunte femme, la mère de Tezzeret, avant de s’endormir dans une flaque de son propre vomi. Naïf, le jeune Tezzeret attendait que son père s’endorme pour nettoyer la table, le mettre dans son lit de camp et le border. Idiot. Il ne faisait qu’encourager la cruauté de son père envers lui. Ce ne fut que plus âge, après en avoir appris davantage sur le pouvoir des mages, que Tezzeret avait compris le rôle qu’il jouait dans sa propre souffrance.

« Quel est ton nom, petit ? »

« Estel », bégaya le jeune garçon.

« Viens. »

Tezzeret essaya de remodeler son bras en une forme courbée pour arracher les planches de bois clouées sur la porte. Cependant, son corps ignora ses ordres. Il grogna en réalisant que c’était le prix à payer en échange de la force que lui offrait sa nouvelle forme. Je finirai par m’y habituer, pensa-t-il en déchirant les planches comme si c’étaient des simples bouts de papier.

L’intérieur n’était pas si différent de ce dont il se souvenait. Il y avait deux pièces : une cuisine avec une cheminée encastrée et une table, et un genre de dortoir. Il n’y avait plus aucun objet de valeur dans les deux pièces. Les seuls objets visibles qui pouvaient laisser penser que son père avait vécu ici étaient des petits bouts de métal tordu, plus exactement de l’alliage de mauvaise qualité, éparpillés au sol, ainsi qu’une grande cape qui sentait la moisissure et la sciure.

Mais qu’en était-il des objets invisibles ? Tezzeret poussa la table sur le côté, puis compta trois carreaux à partir du mur au fond et inséra un doigt dans la fente entre le troisième et le quatrième. En-dessous se trouvait une petite trappe en métal fermée avec un gros verrou.

Tezzeret arracha la trappe de ses charnières, passa une main à l’intérieur et en extirpa une petite boîte en bois avec des motifs floraux sur son couvercle. Ces motifs avaient été sculptés par sa mère : c’était le dernier vestige du passe-temps qui lui apportait du réconfort dans la misère. Il se souvint avoir serré la boîte contre lui pendant son trajet jusqu’aux bas quartiers de Vectis pour récupérer le cadavre de sa mère, et de la façon dont ses ongles s’inséraient parfaitement dans les rainures peu profondes de la sculpture. Il se souvint qu’elle lui avait promis de revenir avec de quoi manger pour le dîner, ce matin-là ; il supposait qu’elle avait eu l’intention de tenir cette promesse.

Des témoins avaient raconté une histoire bien trop courante. Elle faisait l’aumône lorsqu’elle avait été percutée par la charrette d’un riche maître de guilde. Ce dernier ne s’était pas arrêté. Évidemment, les autorités n’avaient rien fait. L’humiliation et la mort étaient monnaie courante pour des pauvres comme elle. Bien plus tard, et après avoir suivi son entraînement de Chercheur, Tezzeret s’était mis à la recherche du meurtrier de sa mère. Il avait découvert qu’il était mort en paix des années auparavant, entouré de sa famille.

Mer creuse, dont les griffes de haillons et de misère réduisent les rêves à néant !

« Tu sais ce que c’est ? », demanda Tezzeret à Estel en ouvrant la boîte pour que le garçon découvre son contenu. À l’intérieur se trouvaient des bouts de métal sous forme de pépites, de copeaux et de fils de différentes tailles.

« De l’étherium », répondit Estel en sentant le regard du Planeswalker peser sur lui.

« Cette quantité dérisoire d’étherium vaut plus que tous les habitants de la Mer creuse réunis, et tout ce que vous êtes à présent ou tout ce que vous serez dans le futur. » Tezzeret commença à formuler un sort en murmurant des mots qu’il avait appris il y a bien longtemps en tant que membre des Chercheurs. « L’étherium tient sa valeur de son extrême rareté et de l’impossibilité qu’il y a à le reproduire. En tout cas, c’est ce qu’on dit. » Il le fit tomber, mais l’éthérium resta suspendu dans les airs. Il regarda alors le métal liquide se remodeler en un petit carré. « Ceux qui vivent dans la Mer creuse ne se font pas prier pour se disputer le peu de choses qu’on les autorise à avoir. Ce qui arrange bien ceux qui vivent au-dessus Ainsi, personne ne vient mettre le nez dans leurs affaires. » Des lettres commencèrent à s’extirper de la surface du métal. L’esprit de Tezzeret modela le métal pour écrire un message.

Tezzeret prit l’étherium, forma un tube étroit avec et le remit dans la boîte. Il regarda Estel et s’apprêtait à lui donner la boîte lorsque le tonnerre fendit l’air, laissant retentir le bruit de portes d’acier qu’on arracherait.

Tezzeret jeta un œil dehors et vit une énergie lumineuse crépiter dans une fissure angulaire flamboyante qui traversait le plafond de la grotte. À l’intérieur, il aperçut une colonne blanche. Il crut d’abord que c’était un bâtiment qui tombait sur la ville. Mais en regardant de plus près, il remarqua des créatures qui fourmillaient sur la surface de la colonne, comme des insectes, jusque dans les rues. Puis, il comprit ce qu’il était en train de regarder.

Du métal d’un blanc squelettique. Les Phyrexians venaient d’arriver.

« C’est trop tôt », pesta Tezzeret. Il attrapa le bras d’Estel et le tira dans le taudis. Il l’obligea à prendre la boîte et aperçut la petite dague accrochée à la ceinture du garçon. « Donne-moi ton couteau. »

D’une main tremblante, Estel retira le couteau de son fourreau. Tezzeret le prit et le regarda de plus près. Il était de mauvaise qualité. Sa poignée ne tenait pas. Sa pointe était ébréchée. Mais c’était amplement suffisant pour Tezzeret. Il solidifia la poignée du couteau avec un sort de débutant ; puis, un autre sort lui permit de l’affûter et de l’effiler. Un dernier enchantement le rendit quasi-éthéré, de sorte que son tranchant puisse fendre une épée bien forgée.

« La citerne de Bout-Soufflet, dit-il. Tu la connais ? Il y a un passage qui mène vers une maison abandonnée dans les hauts quartiers de Vectis. »

« Oui. On l’emprunte pour regarder les défilés. »

Comme je le faisais dans ma jeunesse. « Rends-toi là-bas. Suis le Chemin de l’Ombre et emprunte les passages étroits. »

« Comment connaissez-vous… »

« Tais-toi et écoute-moi. Tu dois quitter la ville en prenant toutes les provisions que tu trouveras sur ton chemin. Reste toujours en mouvement. Si quelque chose se met en travers de ton chemin, utilise ça. » Tezzeret plaça le couteau remis à neuf d’Estel dans son fourreau. « Va jusqu’à Bant. »

« Bant ? »

« Suis la côte en direction du nord en gardant le vent argenté dans ton dos pour arriver jusqu’à Valéron. Approche-toi du premier avant-poste que tu verras et parle au chevalier décoré du plus grand nombre de sigilles. Demande une audience au Général-chevalier Rafiq et donne-lui la boîte. Je me suis bien fait comprendre ? »

Le garçon acquiesça, mais il avait l’air aussi inquiet que perdu, surtout à cause des hurlements et des cris, sans parler des grognements inhumains, qui venaient de l’extérieur. « Qu’est-ce qui se passe ? C’était quoi, ces choses ? Qui êtes-vous ? »

« Je suis la personne qui te donne une chance de vivre, dit-il. Quand tu verras Rafiq, dis-lui que c’est un allié d’Elspeth Tirel qui t’envoie. »

Tezzeret repoussa Estel, et le garçon s’apprêta à partir. Mais avant de sortir, il se retourna, hocha la tête et dit : « Merci. »

« Économise ta salive », dit-il d’un ton sec. Il sentait la colère monter en lui.

« Mais monsieur… »

« Va-t-en ! », cria-t-il en faisant signe à Estel de sortir d’ici. Tezzeret se leva. Il tremblait de tout son corps. Je ne me suis pas encore remis de ma greffe, pensa-t-il en retrouvant son sang-froid. Si le garçon doit mourir, alors il mourra. La mort attendait déjà Estel dans tous les cas s’il restait à la Mer creuse. Mais s’il parvenait à survivre, s’il arrivait à faire passer le mot aux Chevaliers de Bant qu’eux seuls disposaient d’un moyen de se protéger, avec leur légion de guerriers angéliques comme la Nouvelle-Capenna en possédait jadis… Alors Alara pouvait bien devenir le bourbier qui ralentirait l’invasion des Phyrexians. Cela lui offrirait du temps pour rétablir ses réseaux, rassembler des ressources et élaborer un plan.

Tezzeret enfila la cape de son père ; c’était certes un piètre déguisement, mais cela suffisait. Puis, l’espace d’un instant, il fixa le trou miteux où il était né et où il avait grandi. Des morceaux de bois pourri et de plâtre tombaient du plafond, alors que résonnaient les bruits de massacre et de chaos. C’est un adieu de circonstance, pensa-t-il avant de pénétrer dans les Éternités aveugles.


Tezzeret traversa une multitude de plans méconnaissables, détruits par l’invasion des hordes phyrexianes. Des sabres se heurtaient à des carapaces recouvertes de fer, des incisives monstrueuses broyaient des os, et des cris presque incessants semblant traverser les plans, composant une symphonie d’éternelle souffrance.

Le « Grand Ouvrage » d’Elesh Norn se déroulait plus vite que Tezzeret n’aurait pu l’imaginer. Aranzhur. Ilcae. Obsidias. Tous les plans qui contenaient des abris installés par Baltrice, son adjointe, dans le Consortium Infini. Leur existence, et la sienne aussi, d’ailleurs, étaient ce qu’il restait des connaissances spécifiques que Beleren avait laissées lorsqu’il avait extrait l’esprit de Tezzeret dans les marais des nezumi. Désormais, aucun de ces plans n’était sûr. Ce n’étaient plus que des simples extensions de la Nouvelle Phyrexia, des nouvelles fleurs sur l’Arbre-monde avili d’Elesh Norn. D’autres plans, comme ceux de Mirrankkar et de Cabralin, étaient eux aussi en train d’être engloutis. Leurs habitants se défendraient, en vain, avant de ne faire qu’un avec la Légion des machines.

Tezzeret n’avait pas d’autre option que de continuer. Il existait un dernier abri sur un autre plan qui lui servirait de refuge, même s’il était réticent à l’idée de revenir sur ce plan. Mais il n’avait guère d’autre choix. À son grand soulagement, il n’y avait aucun signe d’invasion, ou du moins aucun signe manifeste, au milieu de l’agitation au crépuscule des rues étroites de Towashi. La tension alimentée par les récentes agressions insurrectionnaires était retombée ; les habitants avaient repris une vie normale, triste.

Ils étaient dans l’ignorance. Ils étaient comme du bétail bon pour l’abattage.

Peu importe. Tezzeret devait à tout prix trouver cet abri, se reposer et récupérer les matériaux que Baltrice avaient laissés. Malheureusement, les couches sinueuses des intersections des Souterrains de Towashi s’étaient révélées être un obstacle aussi difficile à franchir qu’une horde de Phyrexians.

« Où est-ce que c’est ? », marmonna-t-il en ressortant d’une autre venelle débouchant sur la rue. Tezzeret tira sur la capuche de sa cape et garda la tête baissée. Tout était surveillé. Cela faisait longtemps qu’il n’était plus le bienvenu dans la plupart des coins de Kamigawa, et il était certain que ses ennemis avaient recommencé à le traquer depuis son dernier passage sur le plan.

Il continua de marcher jusqu’au Puits des Dragons, une des sections les plus basses des Souterrains. C’était une zone qui ne voyait jamais la lumière du jour à cause de la profusion de ponts empruntés par ceux qui travaillaient et vivaient dans les gratte-ciels de Towashi. C’était l’endroit idéal pour un refuge. À l’abri des regards. Enterré. Oublié par tous les gangs de motards des Souterrains qui survivaient en commettant des crimes de bas étage. C’était un endroit que Tezzeret aurait choisi ; peut-être même l’avait-il choisi lui-même, sans qu’il ne s’en rappelle. Il plaça ses mains sur une colonne soutenant un pont et murmura un sort rhabdomantique. Il fit ensuite passer son esprit à travers le métal, à la recherche d’une porte qui comporterait l’empreinte magique du Consortium.

« C’est toi… », entendit-il, une fraction de seconde avant de sentir une décharge électrique le traverser. Soudain, Tezzeret fut à la merci de la gravité et son corps s’effondra comme une statue qu’on aurait renversée. Il utilisa toutes ses forces pour tendre les mains derrière lui, où il sentit une lame qui transperçait le tissu élimé de la cape de son père et pénétrait l’étherium mou au milieu de son dos. On avait visé au hasard, mais bien visé malheureusement. Une lumière étincelante jaillit de l’obscurité et l’illumina. Elle provenait d’un drone de surveillance en vol stationnaire ; le canon de ce dernier fumait encore suite à un récent coup de feu. Devant lui apparut un nezumi qui avait l’air plutôt jeune vu sa stature. Contrairement à la plupart de ses semblables à la fourrure blanche, la sienne avait des taches grises.

« Où est-elle ? »

Tezzeret grogna en essayant de se transplaner. Mais il était trop désorienté pour réussir à s’échapper ou à lancer des sorts. Il tendit une nouvelle fois les mains dans son dos. Cette fois-ci, il réussit à tapoter le manche de la lame du bout de ses doigts.

« Tamiyo, continua le nezumi. Dis-moi où elle se trouve. » Il leva sa télécommande pour ordonner au drone de descendre. « Est-elle… morte ? » Dans un cliquetis, le canon se chargea et visa la tête de Tezzeret. « Crache le morceau ! »

Illustration par : Simon Dominic

« Qu’est-ce qu’elle est pour toi, saleté de rat ? dit Tezzeret d’un ton sec. Tu es son champion ? Son héros venu à sa rescousse pour la sauver des ténèbres ? »

« C’est ma mère. » Sa mère. Évidemment. La fameuse « famille » de Tamiyo. Elle n’arrêtait jamais d’en parler. Quand elle était là, le silence ne régnait jamais, car elle chantait à tue-tête comme une boîte à musique cassée qui répétait inlassablement les mêmes airs. Genku, mon amour, je reviendrai pour toi. Hiroku, mon amour, nous nous reverrons bientôt. Rumiyo, mon amour, enlaçons-nous. Nashi, mon amour, pas de sang, mais de cœur… Nashi. C’est ça. C’était son nom. « Je t’ai vu mourir une fois quand tu as réduit mon village en cendres », dit-il en tremblant. Ses doigts se trouvaient sur les boutons de la télécommande. « Dis-moi où elle se trouve ou tu mourras une deuxième fois. »

La boucle était bouclée. Tezzeret leva les yeux pour regarder le garçon droit dans les yeux. « Alors fais-le. »

La main de Nashi trembla. « Je t’assure que…  »

« Fais-le ! Qu’est-ce que tu attends, espèce de lâche ? » Quelque chose se brisa en Tezzeret. Il tendit ses mains en arrière, une dernière fois. Ses doigts s’allongèrent et s’enroulèrent autour de la lame logée dans son dos. Il retira la lame d’un coup sec et la lança sur le drone de Nashi. Le couteau envoya le drone valser, et son tir manqua sa cible de loin. Des ombres dansèrent. Nashi essaya de fuir, mais Tezzeret fut plus rapide que lui. Il l’attrapa par le col de sa veste en cuir et le mit au sol. « Tu n’es vraiment qu’un sale avorton pathétique ! » Tezzeret, qui reprenait pleine possession de ses moyens, souleva Nashi d’un bras et le jeta contre le poteau qui soutenait le pont. « Le destin t’avait servi ta vengeance sur un plateau d’argent et tu as gâché ta chance ! Il n’y a qu’une poignée de personnes qui ont droit à une chance pareille ! » Tezzeret releva Nashi avant de le plaquer au mur. Il avait maîtrisé le garçon. Des taches rouges s’enfonçaient dans sa fourrure comme du sang dans de la neige. « Dans la vie, on prend ce qu’on mérite ! Les autres essayeront de t’arrêter, alors tu dois les arrêter avant qu’ils ne le fassent ! Tu dois les tuer avant qu’ils ne le fassent ! »

Un grondement de moteurs détonna autour de Tezzeret. Il se retourna au moment où la lumière éclaira l’endroit. Plus d’une douzaine de motos formaient un demi-cercle autour de lui. Il ne pouvait pas s’échapper.

« Lâche-le », dit la cheffe, une nezumi qui conduisait une moto ressemblant à un dragon.

« Ça ne vous regarde pas. »

« Oh que si, ça nous regarde. C’est l’un des nôtres, dit la cheffe. On est bien plus nombreux que toi. Lâche-le, ou tu auras affaire à nous. »

Tezzeret lâcha Nashi à ses pieds. Encore des menaces. Toujours des menaces qui attendaient une réponse de sa part. Très bien. Il avait une réponse brutale et précise : le métal. Au nom de la haine. À cette pensée, il fit exploser sa magie dans tous les sens : dans les ponts qui enjambaient le firmament de fer au-dessus de sa tête, dans le sol pour contacter les gisements de minerai sous ses pieds. La cheffe, qui avait probablement compris que quelque chose n’allait pas, demanda à trois de ses hommes de main de descendre de leurs motos et de s’approcher.

Trop tard. Tezzeret tressauta. Les petites lames qui se trouvaient dans leurs mains bougèrent d’elles-mêmes et empalèrent leurs propriétaires avant de les tirer hors de la lumière. Le reste des nezumi remontèrent sur leurs motos et firent vrombir leurs moteurs, prêtes à charger. Un autre effort vain. Chacun de leurs étalons mécaniques était une réalisation magnifique, un artefact à part entière, brillant, puissant et en métal. Tezzeret leva sa main devant son visage, paume tournée vers le ciel, avant de refermer lentement les doigts.

Ce n’est que quelques secondes après que les membres du gang se rendirent compte que leurs motos commençaient à trembler. Certains essayèrent de sauter avant de réaliser que les objets en métal qu’ils portaient, comme leurs armes, leurs boucles de ceinture et les clous sur leur vêtements, avaient fusionné avec leurs motos : ils étaient enchaînés sur place. Ils ne pouvaient rien faire. Puis, tout à coup, Tezzeret ferma le poing. Il souleva les motos dans les airs avant de les écraser les unes contre les autres dans un horrible bruit métallique. Il fixa le tas de métal et de chair, et utilisa sa magie pour le faire tourner à la faible lumière du drone au sol de Nashi. Des cris de souffrance indescriptibles. Des membres fracturés, embrochés par des tiges de chrome étincelant dans l’obscurité comme des bijoux.

Des bijoux contrefaits. Une malédiction déguisée en trésor. Non, la véritable puissance ne résidait ni dans la constitution d’armées, ni dans la collecte d’armes. La véritable puissance, c’était de survivre, de prospérer et d’enterrer tous ceux qui oseraient se mettre en travers de son chemin. En un bref effort de volonté, Tezzeret projeta le tas de métal et de corps broyés dans l’obscurité, où il s’écrasa contre un mur au loin.

Puis, le silence se fit. Il baissa les yeux vers Nashi, au sol, et prit tendrement la tête du garçon dans sa main. Nashi enroula ses doigts autour du poignet de Tezzeret. Le sang à moitié coagulé sur ses paumes laissait un résidu noir et visqueux sur la peau en sombracier de Tezzeret.

« Ta mère est toujours en vie. »

« En vie », s’exclama Nashi. Un léger sourire illumina son visage.

Tezzeret acquiesça. « Elle viendra bientôt te chercher. » Il s’approcha. « Et quand elle arrivera, tu regretteras que je ne l’aie pas tuée. » Doucement, il remit la tête de Nashi au sol avant de se lever et de partir.


L’abri se trouvait derrière un faux mur dans une salle de jeux lumineuse et bruyante où les gens des strates inférieures de la société de Kamigawa se ruinaient dans des machines. Ces dernières promettaient des fortunes, mais elles n’offraient que des lumières clignotantes et des bruits métalliques. Cela n’aurait pas dû surprendre Tezzeret. Baltrice avait toujours eu un penchant pour les frivolités de ce genre.

À l’intérieur, il trouva exactement ce qu’il cherchait. Un endroit privé où se reposer. Où élaborer une stratégie. Où réfléchir. Les ressources étaient également on ne peut plus bienvenues : une nouvelle armure légère qu’il renforça par magie au niveau de la colonne vertébrale et du cou, une multitude de coupures de monnaies provenant de plans différents, une des rares lames de mana qui n’étaient pas en possession de l’Église de l’Âme incarnée, et pour finir, un petit cristal, qui, lorsqu’on le tenait, projetait un motif de petits points de lumière sur le mur, une télémétrie ésotérique qui ravivait un souvenir depuis longtemps oublié.

Tezzeret se transplana depuis Kamigawa vers un plan si délaissé qu’il n’en connaissait même pas le nom. Son voyage fut l’occasion pour lui de réveiller un muscle laissé à l’abandon, mais qui n’avait pas oublié pour autant toutes ces années de pratique. Il se retrouva au milieu d’un océan de sable. Au loin se dressait une petite colline faite de métal lisse. Une tour pointue émergeait de son sommet. Autrefois, c’était sa tour ; c’était la base d’opérations depuis laquelle il gérait les richesses des autres plans, en tant que chef de l’ombre du Consortium Infini.

« C’était plutôt malin de ta part, Beleren, de me cacher cet endroit, songea Tezzeret. Mais c’est fini maintenant. »

Alors que Tezzeret commença à avancer, il réfléchit à la guerre qui faisait rage au sein des autres plans. Il pensa à Beleren et sa cohorte affrontant Elesh Norn. Cette guerre arriverait bientôt à son dernier tournant, au cours duquel les les deux adversaires déchaîneraient leurs ultimes salves l’un contre l’autre. C’était toujours le moment le plus décisif d’une bataille, et il était ravi de ne pas y prendre part. À terme, l’un d’entre eux finirait par arracher la victoire, mais s’en trouverait affaibli. À cet instant, et seulement à cet instant, il passerait à l’action.

En attendant, il y avait tant à reconstruire.

Mécaniques du jeu : Tous Phyrexians

La situation est incroyablement mauvaise dans Tous Phyrexians, ou incroyablement bonne, selon votre point de vue sur la domination phyrexiane du Multivers. La Nouvelle Phyrexia est en plein essor. Certes, les praetors ont quelques petits désaccords quant à la marche à suivre, certes, quelques Planeswalkers veulent gâcher la fête, et certes, quelques Mirrans cherchent toujours à reprendre leur plan, mais à part ça, la domination est inévitable. Tous seront Phyrexians. Cependant, aucune extension ne peut être parachevée sans de nouvelles mécaniques, alors découvrons-les ensemble.

TOXIQUE

Entendez-vous l’appel de Phyrexia ? Ces créatures devraient être accompagnées d’un avertissement. Elles sont dangereuses, et si elles vous prennent pour cible, vous pourriez bien succomber à leur empoisonnement, quel que soit votre total de points de vie. Le toxique est une nouvelle capacité mot-clé que l’on retrouve sur plusieurs créatures phyrexianes de l’extension, dont le terrifiant Paladin de prédation.

Paladin de prédation

À chaque fois qu’une créature avec le toxique inflige des blessures de combat à un joueur, ce joueur gagne un nombre de marqueurs « poison » égal à la valeur de toxique de cette créature. Il s’agit du chiffre se trouvant après le mot-clé « toxique ». Ces marqueurs « poison » sont distribués en plus des dégâts infligés, ce qui n’annonce rien de bon pour ce joueur. Un joueur qui a au moins 10 marqueurs « poison » perd la partie, mais dans la section suivante, nous allons voir que les avantages qu’il y a à empoisonner vos adversaires se font sentir bien plus tôt.

La valeur de toxique et la force d’une créature ne sont pas nécessairement liées. Si une créature avec toxique 6 inflige 1 blessure de combat à un adversaire, il gagne six marqueurs « poison ». 15 blessures de combat ? Il gagne toujours six marqueurs « poison ». Le toxique ne vous aide pas si la créature inflige des blessures de combat à une autre créature ou à un planeswalker.

CORROMPU

Les marqueurs « poison » ont longtemps été une des conditions de victoire alternatives préférées des joueurs. Cependant, à l’exception de quelques cartes particulières, c’était tout ou rien. Si vous ne parveniez pas à placer le dixième marqueur « poison », les neuf premiers ne servaient pas à grand-chose. Corrompu est un nouveau mot de capacité qui met en avant les capacités qui renforcent des cartes si un adversaire a au moins trois marqueurs « poison ».

Certaines capacités de corrompu, comme la dernière capacité de La Drupe, sont activées. Si vous avez un adversaire corrompu, vous pouvez activer la capacité. Sinon, vous ne pouvez pas le faire. D’autres capacités de corrompu, comme la dernière capacité de l’Essaim de Skrelv, sont statiques, et leurs effets sont actifs tant qu’un adversaire a au moins trois marqueurs « poison ». Lors de parties multijoueurs, il suffit qu’un seul adversaire ait au moins trois marqueurs « poison », pas tous.

Vous retrouverez également des éphémères et des rituels avec des capacités de corrompu. Certaines de ces capacités offrent des effets supplémentaires si vous avez un adversaire corrompu au moment où le sort se résout. D’autres affectent le coût d’un sort ou ce qu’il peut cibler. Les capacités de corrompu sont flexibles, et chaque carte vous indiquera les récompenses précises (outre la jubilation garantie) que rapportera la distribution de marqueurs « poison ».

POUR MIRRODIN !

Les Mirrans ne sont pas tout à fait prêts à rendre les armes. Pour Mirrodin ! est une nouvelle capacité déclenchée qu’on trouve sur certaines cartes d’équipement, qui arrivent déjà complètes (mais pas parachevées) sur le champ de bataille avec leur propre porteur.

L’équipement arrive sur le champ de bataille détaché comme n’importe quel autre équipement. Si, pour une raison quelconque, il quitte le champ de bataille avant que la capacité déclenchée ne se résolve, vous créez quand même le jeton de créature Rebelle, même s’il aura malheureusement les mains vides. Les équipements avec Pour Mirrodin ! se comportent comme tout autre équipement. Vous pouvez utiliser la capacité d’équipement pour attacher cet équipement à une autre créature que vous contrôlez.

MARQUEURS « PÉTROLE »

Les marqueurs « pétrole » ne sont pas une capacité mot-clé et n’ont pas de signification de règle particulière, mais ils jouent malgré tout un rôle important dans les opérations de Phyrexia. Certaines cartes, comme la Forge d’Urabrask, mettent des marqueurs « pétrole » sur elles-mêmes puis utilisent ces marqueurs pour différents effets.

D’autres cartes s’intéressent au nombre de permanents que vous contrôlez avec des marqueurs « pétrole » sur eux. D’autres encore déplacent les marqueurs « pétrole ». La pente peut rapidement devenir glissante.

PROLIFÉRER

Proliférer est une action mot-clé de retour dans cette extension, et ce n’est pas une surprise : il y a des marqueurs « pétrole » et des marqueurs « poison », ne serait-ce pas génial d’en avoir encore plus ? À chaque fois que l’on vous instruit de proliférer, choisissez n’importe quel nombre de joueurs ou de permanents qui ont déjà des marqueurs sur eux. Pour chacun d’entre eux, et pour chaque type de marqueur qu’il a, ajoutez-en un.

Par exemple, si vous contrôlez une créature avec un marqueur +1/+1 et un marqueur « pétrole » sur elle et que vous la choisissez lorsque vous proliférez, celle-ci se retrouve avec deux marqueurs +1/+1 et deux marqueurs « pétrole ». Si votre adversaire et vous contrôlez chacun un planeswalker, vous pourriez choisir le vôtre pour qu’il reçoive un autre marqueur « loyauté » tout en choisissant de ne pas le faire pour le planeswalker de l’adversaire. Si vous contrôlez une créature avec un marqueur +1/+1 et un marqueur « étourdissement » (un marqueur que vous ne voulez peut-être pas dupliquer), vous avez le choix : ajouter un marqueur de chaque type, ou ne rien ajouter.

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